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Financer efficacement les PME en Afrique : une vision du terrain

Quels défis pour passer de la microfinance à la mésofinance ?
Barils. Photo de Mohammad Ponir Hossain. Concours photos du CGAP 2015.

Force est de constater que depuis leurs débuts dans le secteur de la finance inclusive, les institutions de microfinance (IMF) se sont développées et professionnalisées pour devenir des acteurs parfois majeurs de l’économie locale. La croissance des IMF et de leurs clients en a amené certaines à servir le segment des "Petites et Moyennes Entreprises" (PME). Cette transition progressive vers la mésofinance a été pour beaucoup considérée comme une étape naturelle, résultant davantage de l’évolution des besoins des clients, que d’une réelle réflexion stratégique.

Ceci étant, la préoccupation de la rétention des meilleurs clients dans un contexte de forte concurrence, la volonté d’expansion de l’activité et de maitrise des coûts opérationnels figurent parmi les principales raisons ayant poussé les IMF à financer les PME. Et si certaines ont amélioré leurs performances financières à court terme en raison de la croissance de leur portefeuille, elle se sont vues impactées à moyen terme par une dégradation de leur profitabilité (en raison de marges plus faibles et d’un risque de défaut plus élevé). A posteriori, ces institutions reconnaissent qu’elles ont surestimé leurs capacités à servir ce segment.

Créée en 2005, Microcred a développé des institutions de microfinance en Afrique et en Chine. Présente dans 9 pays d’Afrique, elle compte actuellement 400 M€ d’encours de crédits pour 600 000 clients avec un portefeuille à risque à 30 jours de 2% et un taux de croissance annuel de 50%. Ruben Dieudonné, son directeur Afrique, évoque le passage à la mésofinance : "Nous avons attendu que les filiales se stabilisent pour lancer des produits PME. Mais nos filiales matures – Madagascar, le Sénégal et la Côte d’Ivoire – se sont lancées naturellement dans le financement des PME après quelques années d’opérations." Le financement de ce segment représente plus de 40% du portefeuille global en volume et 4% en nombre.

Parallèlement à ce constat, le secteur de la finance inclusive voit émerger de nouvelles institutions de mésofinance, qui formulent des solutions de financement au "chainon manquant ou missing middle" par le financement des PME. Fait avéré, les économies africaines connaissent une croissance soutenue depuis une quinzaine d’années, croissance fortement portée par le secteur privé et en particulier le tissu des PME. Et pourtant leur accès au financement est un vrai sacerdoce. Une étude de la Banque mondiale révèle que seules 10% d’entre elles ont accès au financement alors qu’elles représentent plus de 90% des sociétés privées du territoire.  

C’est dans ce contexte que COFINA, réseau d’institutions financières dédié au financement des PME, s’est créé en 2014. Présent au Sénégal, en Guinée, au Mali, au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Congo, l’institution dessert plus de 75 000 clients pour un encours de crédit de 100 M€ et un portefeuille à risque à 30 jours d’environ 3%.

En se lançant sur le segment des PME - qu’elle dispose d’une clientèle issue du microcrédit pour Microcred ou de nouveaux clients de la mésofinance pour COFINA - les deux organisations ont fait face à un certain nombre de défis les ayant parfois poussées à ajuster leurs dispositifs organisationnel et opérationnel.

Une institution financière doit en effet maîtriser une série d’outils pour financer ce segment de clientèle.

Challenge #1 – Analyser le risque

La question de l’asymétrie d’information entre l’entrepreneur et l’institution financière revient très souvent. La méconnaissance de l’entreprise, de son marché et de la structure de ses coûts rend l’analyse du dossier de crédit complexe. Jean-Luc Konan, directeur du réseau COFINA, mentionne à juste titre "qu'il faut avoir l’idée la plus précise possible de la solvabilité du client et pour cela être en mesure de comprendre parfaitement son marché et son entreprise. Il faut être capable d’allier connaissance de proximité et connaissance comptable."

Même si pour Microcred, la plupart des clients PME sont connus de l’institution étant auparavant clients pour des montants inférieurs, Ruben Dieudonné rappelle l’intérêt de comprendre le client dès le début. Les premiers mois font généralement figurent de "lune de miel" pour une insitution financière et sa "fausse" impresson de bien saisir ses clients et leurs marchés lui fait faire l'économie de comprendre plus finement leurs environnements. Or vient la période où l'institution a moins de prises sur son environnement, où les défauts de paiement augmentent, et les effets de ne pas avoir suffisamment analyser le marché du client se font ressentir. Pour parer à ces éventuelles difficultés, "il est nécessaire de comprendre le client et son marché dès le début, après cela il est trop tard.", rappelle le directeur de Microcred.  

Enfin, pour combler le phénomène d’asymétrie certaines institutions travaillent en partenariat avec des organismes d’appui aux entreprises, en charge d’appuyer l’entrepreneur dans la rédaction du plan d'affaires et l'accès au financement. 

Challenge #2 Adapter le dispositif à son environnement

A l’inverse du microcrédit où il s’agit d’une réflexion sur le cash-flow, dans le cas d’un crédit au PME il est nécessaire d’analyser le bilan et la capacité d’endettement. Et les IMF n’ont pas les compétences requises pour analyser le risque et évaluer ce type de demandes. De la même façon que le financement des PME implique de bien connaître les clients, il nécessite de s’appuyer sur une équipe opérationnelle compétente et dédiée à ce segment ("Know Your Customer" et "Know Your Colleagues"). La tendance est en effet de conseiller les institutions à créer des unités PME distinctes des activités microfinance traditionnelles.

C’est ce qu’a entrepris Microcred sur les filiales s’étant lancées sur ce segment. Toutefois, l’institution est revenue sur cette approche-là car l’unité PME créait un challenge dans le transfert des portefeuilles des agents de crédit microfinance à l’unité PME et impactait négativement la relation client. L’institution tend désormais à réintégrer l’activité PME dans l’activité microfinance tout en gérant le risque : "Comme nos 250 agents de crédits microfinance n’étaient pas en capacité d’instruire ce type de financement, nous avons demandé à leurs superviseurs d’évaluer les demandes des crédits PME, ce qui a permis à ces mêmes agents de conserver leur portefeuille et d’effectuer le suivi-client", explique Ruben Dieudonné.

Il n’y a donc pas d’approche unique si ce n’est de s’adapter à son environnement et d’adopter le cas échéant un modèle décentralisé. 

Challenge #3 Adapter sa méthodologie et sa prise de garanties

65% des institutions financières qui se lancent dans le financement des PME auraient une méthodologie inadaptée. Parmi les écueils à éviter figure celui de proposer des produits bancaires classiques. Contrairement à la microfinance où il est possible d’avoir une approche standardisée, ce segment de clientèle implique une approche produit et des prises de garanties adaptées. Au-delà d’un certain seuil, il ne s’agit plus de microfinance mais de finance avec ce que cela entraine sur les plans de formalisme et de prise de garanties qui dépassent de loin la caution morale ou les garanties classiques appelées à garantir le crédit. Ces dernières sont la plupart du temps insuffisantes ou impossibles à réaliser en cas de litiges.

Challenge #4 Accompagner ses clients

L’autre point à ne pas négliger est l’accompagnement des PME financées. Or, tant les IMF que les banques classiques, insuffisamment outillées pour le suivi-client, en font souvent l’économie. Les IMF n’ont pas les moyens de réaliser un suivi rigoureux face à l’abondance des petits dossiers de crédits. Et les banques considèrent que là n’est pas leur métier, préférant se reposer sur une prise de garantie importante. Microcred et COFINA ont un parti pris fort quant à la démarche de proximité qu’ils opèrent avec leurs clients. Jusqu’à maintenant cette posture a payé, les deux institutions disent avoir un taux de rétention de leur clientèle très satisfaisant.

En privilégiant une relation au long cours client/agent de crédit, des visites régulières, des services de conseils liés à la gestion du prêt, et de renforcement des compétences des emprunteurs, une institution financière maitrise à la fois mieux son risque de défaut et contribue à la pérennisation de la PME financée. 


Le Portail Microfinance était partenaire média de la Semaine Africaine de la Microfinance qui s'est déroulée en octobre 2017 à Addis Abeba, en Ethiopie.

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Expert David KUATE , Cameroun
05 août 2020

Je trouve cet article vraiment pertinent. et je suis content car résidant à Douala au Cameroun, je suis Expert Judiciaire agréé en Finances et je m’intéresse particulièrement à la micro et mésofinance. J'ai animé plusieurs séminaires et suis prêt à travailler avec vous suivant votre convenance.

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