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Inclusion financière dans le monde arabe : les espoirs pour demain

Construction d'une selle par un artisan Turque. Photo de Bulent Suberk. Concours photos du CGAP 2014.

Nous sommes en 2030 et l’accès aux services financiers est généralisé dans le monde arabe. Ces vingt dernières années, des réformes juridiques ont permis d’élargir le marché financier au profit des prestataires déjà en place et de nouveaux arrivants, ce qui a accru la spécialisation et la concurrence. Les usagers peuvent désormais effectuer des petits paiements en quelques secondes (entre particuliers, de particulier à entreprises, entre entreprises, de particulier à administrations publiques ou inversement…). Finis les déplacements d’une demi-journée pour régler une facture d’électricité ! Les dépôts d’argent au sein du système financier formel (banques de plein exercice, établissements de paiement ou de microfinance) sont deux à cinq fois plus nombreux. Grâce à ce surplus de liquidités, les prêts formels accordés au secteur privé et aux particuliers ont décollé et eu un effet multiplicateur sur la croissance du PIB qui s’est traduit par un recul des inégalités. Le développement des partenariats public-privé permettra bientôt d’étendre l’offre de produits d’assurance à la quasi-totalité de la population.

Retour en 2017. La réalité est tout autre : l’offre de services financiers dans le monde arabe est loin de satisfaire la demande. C’est la conclusion d’un rapport conjoint du Fonds monétaire arabe et du Groupe consultatif pour l’aide aux plus pauvres (CGAP) élaboré à partir de la base de données Findex sur l’inclusion financière. Cette analyse révèle que 70 % des adultes de la région (soit 168 millions de personnes) n’ont pas accès à un compte bancaire de base, un chiffre qui frise les 80 % dans les pays en développement. Mais elle montre également qu’au sein de cette population non bancarisée, ceux qui prennent une part active à la vie économique sont nombreux : 92 millions des personnes interrogées déclarent contracter des emprunts informels. Ces chiffres donnent à penser que, face à des besoins d’une telle ampleur, les perspectives qui s’ouvrent aux prestataires de services financiers sont immenses dans l’ensemble du monde arabe, y compris dans les pays où les marchés financiers sont relativement plus actifs.

Il semble difficile de croire, à première vue, qu’une telle proportion d’habitants dans la région ne détient pas de compte bancaire. Pourtant, même en analysant la situation du point de vue de l’offre, grâce aux enquêtes sur l’accès à la finance menées par le Fonds monétaire international, on voit que le bilan est globalement identique. Quel que soit l’angle choisi, que l’on interroge la population dans la rue ou que l’on agrège les données obtenues auprès des prestataires financiers, la conclusion est toujours la même : en matière de services financiers formels, le monde arabe accuse un retard par rapport aux autres régions du monde.

Graphique 1. Part de la population (15 ans et plus) détenant un compte dans un établissement financier formel, par région.

Source : Données Findex 2011 et 2014, à l’exception des barres en violet, calculées à partir des données Findex.

Remarque : La base de données Findex fait état d’une moyenne de 14 % pour « les pays en développement du Moyen-Orient » (Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Palestine, Yémen). Les autres chiffres concernant le monde arabe sont calculés comme des moyennes pondérées selon les effectifs de population âgés de plus de 15 ans. Le CCG est formé des pays suivants : Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar. Le monde arabe regroupe tous les pays membres du Fonds monétaire arabe (pays du CCG, Algérie, Comores, Djibouti, Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Libye, Mauritanie, Maroc, Palestine, Somalie, Soudan, Syrie, Tunisie et Yémen).

Graphique 2. Part de la population (15 ans et plus) détenant un compte dans un établissement financier formel dans le monde arabe

Données Findex 2011 et 2014, à l’exception du Maroc (estimation calculée en appliquant aux données Findex 2011 le taux de croissance communiqué par la banque centrale sur la base du nombre de comptes comminqués par les prestataires de services financiers)

Remarque : Les données pour 2011 apparaissent uniquement lorsque les données pour 2014 ne sont pas disponibles (Comores, Djibouti, Maroc, Oman, Qatar, Syrie).

La bonne nouvelle, c’est que le tableau que j’ai brossé au début de mon billet prend déjà forme. Ces dernières années, le monde arabe a réalisé des progrès tangibles en matière d’accès aux services financiers : les pays ont fait évoluer leur cadre réglementaire et juridique, qui, de tout temps, a été le principal obstacle à l’inclusion financière dans la région et le demeure souvent. La plupart des avancées observées de 2011 à 2015 concernent avant tout le micro-crédit. Cependant, plusieurs pays ont pour la première fois autorisé des établissements financiers non bancaires à proposer des services de crédit et à commercialiser des produits d’assurance pour le compte de compagnies d’assurance (en attestent le décret-loi n° 117 en Tunisie ; la réglementation n° 132 en Palestine ; la loi égyptienne sur la microfinance n° 141 ; et la réglementation n° 5 sur les établissements de microfinance en Jordanie). Plus récemment, la refonte de la législation bancaire a permis à des sociétés de paiement homologuées et supervisées par une banque centrale de proposer des comptes courants, à l’instar des lois bancaires n° 12.103 au Maroc (2015) et n° 48 en Tunisie (2016). Dans ces deux pays, les nouveaux règlements exécutifs à venir devraient révolutionner le traitement des micro-paiements chez les populations bancarisées et non bancarisées. La Jordanie permet désormais à ses ressortissants mais aussi aux réfugiés d’ouvrir un e-portefeuille, après avoir fait le pari audacieux d’exiger l’interopérabilité des opérateurs de paiement mobile à compter de leur premier jour d’activité (contrairement à d’autres pays, où plusieurs années sont parfois nécessaires pour parvenir à une interopérabilité). Le Qatar, qui accueille de larges contingents de travailleurs migrants à l’instar de nombreux autres pays du CCG, a facilité les transferts d’argent mobiles pour un coût modique, améliorant le quotidien de milliers de personnes dans toute la région et au-delà.

À mesure que les pays mettent en place des stratégies d’inclusion financière, la région bénéficie d’une plus large mise en commun de leur expérience et expertise. En témoigne le groupe de travail sur l’inclusion financière du Fonds monétaire arabe, qui favorise l’échange de connaissances entre banques centrales de la région. En collaboration avec d’autres partenaires, ce groupe met à disposition de plus en plus d’outils en lien avec diverses thématiques : enquêtes axées sur la demande, protection financière du consommateur ou stratégies de réduction du risque, etc.

Naturellement, il faudra redoubler d’effort, et sur tous les fronts, pour remédier à l’ampleur du déficit de l’offre de services financiers dans le monde arabe. L’accès à des services d’épargne pour de faibles montants, qui est probablement la prestation la plus attendue chez les ménages à faible revenu, nécessite des dispositions juridiques à même de faire émerger des acteurs plus spécialisés et de pérenniser leur activité (comme par exemple des dispositifs d’accréditation graduelle des prestataires et des règles de vigilance progressives à l’égard de la clientèle). Le Maroc ou la Tunisie échappent peut-être à cette nécessité, dans la mesure où les réseaux postaux jouent déjà un rôle central dans la prestation de services financiers de base ; c’est également le cas du Yémen, qui dispose déjà d’une législation solide sur la microfinance. Par ailleurs, alors que nous ne disposons pas encore de données sur l’inclusion financière ventilées par sexe, celles-ci permettraient de mettre en place des mesures plus ciblées pour faire avancer les normes sociales sur les droits économiques et juridiques des femmes. Enfin, dernier point : même lorsque le cadre réglementaire et les infrastructures sont en place pour favoriser l’inclusion financière, les réussites exemplaires font encore défaut dans le monde arabe, tandis que les lacunes du marché n’ont pas été véritablement comblées.

 

Il n’en demeure pas moins que les espoirs sont élevés, car ces cinq dernières années ont été le témoin d’un changement de fond: le discours s’est infléchi chez les décideurs politiques, qui reconnaissent désormais la réalité de l’exclusion financière.

Il n’en demeure pas moins que les espoirs sont élevés, car ces cinq dernières années ont été le témoin d’un changement de fond : le discours s’est infléchi chez les décideurs politiques, qui reconnaissent désormais la réalité de l’exclusion financière. Il devient progressivement clair à leurs yeux qu’il existe un marché non exploité et que la prestation de services financiers adaptés à ceux qui en ont besoin est une formidable opportunité, pour le bien de tous. Pour faire progresser l’inclusion financière, il faut définir et mettre en œuvre des stratégies qui reposent sur des éléments factuels et soient portées par une masse critique de responsables politiques animés du souci d’améliorer les systèmes financiers de leurs pays. Depuis qu’un certain nombre d’institutions ont uni leurs forces pour concrétiser cette ambition, les opportunités d’aujourd’hui pourraient bien devenir une réalité demain.

 

Ce blog a été initialement publié en anglais sur le site du CGAP et est consultable sur le Portail arabe.

Document de travail du CGAP et du Fonds monétaire arabe : Financial Inclusion Measurement in the Arab World, Nadine Chehade, Antoine Navarro, Yisr Barnieh et Habib Attia. 

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