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L’assurance, un levier de développement économique ?

Béatrice et son téléphone. Photo de Mwangi Kirubi. Concours photos du CGAP 2015.

L’assurance est un concept assez particulier : elle repose sur le paiement aujourd’hui d’une somme donnée pour couvrir un risque susceptible, ou non, de se matérialiser demain. Ses avantages restent donc peu perceptibles et immatériels. Pourtant, l’assurance a toujours existé. Elle est aujourd’hui proposée par des organisations traditionnelles, des sociétés privées ou les pouvoirs publics.

Les outils classiques d’« auto-assurance », conçus pour transférer et gérer les risques collectivement, prennent souvent la forme d’une épargne communautaire supervisée par un « sage » ou régie par des rapports hiérarchiques et sociaux plus complexes. Partager les risques et les ressources pour aider des personnes en difficulté est courante en Afrique. Outre les tontines, des organismes à but non lucratif ou basés sur l’adhésion, comme les sociétés funéraires en Afrique du Sud ou les « iddirs »  pour les petits agriculteurs en Éthiopie,  ont développé des dispositifs de partage des risques pour les personnes sans accès à une assurance  formelle.

Passer de ces systèmes d’assurance communautaires informels à des systèmes individuels formels a des impacts positifs sur le développement économique local, comme l’ont reconnu les Nations unies en 1964 lors de leur première conférence sur le commerce et le développement : ils contribuent à la croissance et la stabilité des économies, ainsi qu’à la redistribution et la solidarité entre les individus.

Taux de pénétration et croissance du PIB corrélés

Plusieurs recherches ont mis en évidence la corrélation entre le taux de pénétration de l’assurance et la croissance du PIB. En analysant la situation de 77 économies avancées ou émergentes entre 1994 et 2005, Han et coll. (2010) ont montré qu’une pénétration totale de l’assurance en hausse de 1 % se traduisait par une augmentation de 4,8 % de la croissance économique (1,7 % si l’on ne retient que l’assurance-vie). Il est intéressant de constater qu’au vu des données de divers pays (USAID, 2006), le taux de pénétration de l’assurance ces 40 dernières années n’est pas corrélé de façon linéaire avec la croissance du PIB, mais suit une courbe en S (Enz, 2000). 

Un faible développement économique est généralement associé à un taux de pénétration de l’assurance bas – les mécanismes informels et traditionnels d’auto-assurance étant difficilement quantifiables. Mais lorsque le PIB par tête atteint entre 3 000 et 5 000 dollars, le taux de pénétration de l’assurance augmente plus vite que le PIB jusqu’à ce que le marché arrive à maturité et atteigne un « plateau ».

Deux grands facteurs expliquent cette corrélation. Premièrement, une fois assuré, un individu peut prendre des décisions plus risquées que s’il devait les assumer seul, par exemple pour créer une société, construire une infrastructure ou une usine, développer une nouvelle technologie, etc. Dans les économies émergentes, certains risques sont peu fréquents, mais très coûteux pour l’individu et ses proches. Un accident de santé du chef de famille ou, pour les agriculteurs, une grave inondation ou une sécheresse peuvent, par exemple, priver un ménage de revenus. Lorsque ces risques sont couverts, les individus gagnent en sérénité et peuvent, plus facilement, prendre des décisions influant sur leur productivité et investir à long terme : par exemple, en commençant à utiliser des engrais, en scolarisant un enfant, en s’équipant préventivement contre la malaria, etc.

Deuxièmement, l’assurance a un impact sur la baisse des taux d’intérêt et l’allongement des maturités de crédit (courbe de rendement). En protégeant des entreprises et des ménages contre la perte de biens, des dommages ou des difficultés à rembourser un emprunt, elle contribue à réduire le risque de crédit. De plus, les compagnies d’assurance investissent en général les primes collectées et adossent leurs passifs d’assurance à des actifs de même durée. Les primes d’assurance santé sont fréquemment investies dans des actifs à court terme, tandis que les primes d’assurance vie ou les produits de retraite peuvent être investies sur plusieurs dizaines d’années.

Un facteur de stabilité et de solidarité entre les individus ?

L’assurance représente également, pour les économies locales et les ménages, un facteur de stabilité et de résilience face à des évènements extrêmes. Elle leur permet, par exemple, de se couvrir contre des catastrophes naturelles en transférant le risque à des compagnies d’assurance et aux marchés financiers.

Enfin, l’assurance donne une tangibilité économique au concept de solidarité entre les individus et les générations, en permettant l’agrégation et la mutualisation des risques – c’est-à-dire en définissant les primes en fonction de la probabilité de leur réalisation pour un groupe d’assurés et non pour un individu. De cette façon, l’assurance lie « les malheurs de quelques-uns aux fortunes de beaucoup ». Cette forme de redistribution des revenus intervient après un accident, ce qui la différencie fondamentalement de la redistribution publique, dont elle est complémentaire. Les risques ne sont pas équitablement partagés entre les individus d’une même société (Ewald, 1999) et cette inégalité n’est pas liée aux niveaux de revenus initiaux (alors que les outils de gestion des risques dépendent des revenus). L’assurance rétablit une forme d’égalité entre assurés : après avoir payé une prime, ce qui importe c’est le risque auquel l’individu fait face et non pas ses revenus, son éducation ou son statut social.

Adapter l’offre aux réalités locales

La pénétration de l’assurance reste très faible en Afrique. Hormis l’Afrique du Sud, le total des primes avoisine 1 % du PIB, loin des 5 % observés en Asie. Les assureurs ont mis du temps à adapter leurs produits et services aux réalités locales. Ceux-ci sont, pour la plupart, identiques aux produits et services proposés dans les pays industrialisés, c’est-à-dire des contrats longs et complexes, distribués par l’intermédiaire de réseaux coûteux d’agents et de courtiers qui ne touchent que l’élite urbaine.

90 % de la population du continent n’a qu’un accès limité à l’assurance ou n’y sont pas sensibilisés, malgré leur vulnérabilité et leurs besoins en matière de soins de santé. Les compagnies d’assurance ont longtemps cru que ces populations n’étaient tout simplement pas assurables. Elles ont pourtant développé leurs propres mécanismes de gestion du risque : les couples ont de nombreux enfants à la fois pour assurer leurs vieux jours et pour diversifier les revenus de la famille.

Ils se constituent une épargne de précaution, soit en liquide (« sous le matelas »), soit avec des biens pouvant être vendus en cas de besoin. Mais souvent, ces mécanismes ne suffisent pas. En Inde par exemple, 40 millions de personnes retombent chaque année dans la pauvreté à cause de problèmes de santé.

Face à l’incapacité du marché traditionnel de l’assurance à répondre à ces besoins, de nouveaux acteurs maîtrisant le numérique cherchent à réinventer la protection pour les clients de pays émergents à faibles revenus. Ils ont dû réinventer le modèle de gestion de l’assurance, en relevant trois défis : le prix, le manque de confiance induit par la complexité des offres et la difficulté d’accès.

Que faire maintenant ? Le futur de l’assurance pour les clients des pays émergents en Afrique, et au-delà, réside probablement dans l’effet de levier de nouveaux canaux de distribution, en particulier numériques à l’instar du service de paiement par mobile M-PESA au Kenya.

Selon les prévisions, en 2016, les smartphones se vendront mieux que les portables en Afrique, comme ce fut le cas en Inde fin 2015. Et avec l’accès à l’internet 3G, stimulé par l’investissement public et privé, l’assurance par mobile continuera à prospérer, notamment en Afrique du Sud, au Kenya et au Rwanda.

La révolution numérique permettra aussi aux acteurs du secteur d’associer des produits d’assurance à d’autres services à valeur ajoutée, comme l’éducation financière ou des solutions de santé. Par exemple, AXA Egypt propose à ses clients un accès à des consultations médicales par téléphone. Sur le même créneau, les startups de services de santé mobiles se multiplient en Afrique. Par exemple, Foyo au Rwanda a développé une application mobile qui, pour le prix d’un SMS, conseille et informe les utilisateurs en matière de santé. Au Kenya, Mamakiba aide les femmes enceintes à faibles revenus à épargner pour couvrir leurs frais de santé.

En offrant de nouvelles solutions de protection, formelles et efficaces pour des millions de personnes, la main invisible de l’assurance devient plus tangible.

Cet article est extrait du numéro 25 de la revue Secteur privé & Développement, revue éditée par Proparco et est également consultable sur le siteIdeas4development.org

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