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Les nouveaux enseignements du dernier rapport Global Findex

Global Findex Database 2017, Word Bank

La semaine dernière, pendant les Réunions de printemps de la Banque mondiale, la présentation du troisième rapport Global Findex a fait l’objet d’une promotion en fanfare. Rien d’étonnant à cela : la publication de cette base de données était attendue avec impatience par la communauté des promoteurs de la finance inclusive, car elle constitue la meilleure mesure de la demande de services financiers à l’échelle mondiale. Les données collectées pendant trois ans retracent les progrès incontestables que nous avons réalisés en matière d’accès aux services financiers au cours des six dernières années. Elles illustrent aussi les défis que nous devons encore relever pour combler les difficultés d’accès à ces services par les groupes marginalisés et pour renforcer encore leur utilisation. Mais ce que le rapport Global Findex ne nous dit pas, c’est dans quelle mesure et comment les services financiers profitent aux pauvres, ni comment mesurer et atténuer les risques potentiels de ralentissement de la tendance. Notre communauté doit pourtant analyser ces deux aspects, car un nombre croissant de personnes a désormais accès aux services financiers.

L’accès aux services progresse, mais des disparités entre hommes et femmes persistent

Le rapport Global Findex montre des améliorations remarquables en matière d’accès des pauvres aux services financiers dans les pays en développement, avec 515 millions d’adultes ayant ouvert un compte bancaire depuis 2014. C’est en Inde que la progression est la plus spectaculaire : environ 80 % de la population était titulaire d’un compte ouvert dans une institution financière en 2017, contre 53 % en 2014. En trois ans, ce pays a en outre réduit l’écart entre les sexes, qui est passé de 20 à 6 points de pourcentage. En Afrique subsaharienne aussi, les progrès sont considérables : dix pays de la région affichent un taux d’accès d’au moins 50 % et quatre d’entre eux dépassent 65 %. Même les marchés très difficiles comme la RDC, le Libéria, le Malawi et le Mali ont enregistré des progrès.

 

En Afrique subsaharienne aussi, les progrès sont considérables : dix pays de la région affichent un taux d’accès d’au moins 50 % et quatre d’entre eux dépassent 65 %.

Comme Asli Demirgüç-Kunt et Leora Klapper l’ont souligné dans un billet publié la semaine dernière sur le blog de la Banque mondiale, bien que l’accès des femmes aux services financiers s’améliore dans certains pays comme l’Inde et l’Indonésie, il existe toujours un écart de 7 points de pourcentage entre les femmes et les hommes à l’échelle mondiale. Et, dans certains pays, le faible taux d’accès des femmes pèse considérablement sur la moyenne nationale. Ainsi, le taux d’accès national du Pakistan dépasserait les largement 21 % si plus de 7 % des femmes du pays étaient bancarisées. Quant au Bangladesh, si l’inclusion en général a sensiblement progressé, elle a surtout bénéficié aux hommes : l’écart entre les sexes s’est en effet creusé de 9 à 29 points de pourcentage entre 2014 et 2017.

Des améliorations ont également été constatées dans les zones rurales, où la proportion de ménages ayant un compte bancaire est passée de 44 % en 2011 à 66 % en 2017. Les grandes avancées réalisées en Chine (de 58 à 78 %), en Inde (de 33 à 79 %) et en Afrique subsaharienne (de 19 à 39 %) sont en grande partie à l’origine de cette progression. C’est un résultat positif, mais il reste encore beaucoup à faire, en particulier en Afrique subsaharienne où environ 75 % de la population vit en milieu rural. Comme dans bien d’autres domaines, le Kenya est en tête dans cette région. La proportion de ménages ruraux kenyans ayant un compte bancaire est passée de 38 à 81 % entre 2011 et 2017, en grande partie grâce à l’omniprésence de l’argent mobile.

Il est intéressant de constater que les données Global Findex nous permettent aussi de corréler les progrès aux choix politiques. Le CGAP publiera bientôt un rapport sur les facilitateurs essentiels de la finance numérique, à savoir les agents, les émetteurs non bancaires de monnaie électronique, les règles d’identification des clients à plusieurs niveaux et basées sur le risque, et les mesures appropriées de protection des consommateurs. Dans l’ensemble, les données montrent que les pays dotés d’une réglementation favorable à ces facilitateurs ont obtenu des améliorations substantielles en matière d’accès. En outre, les progrès rapides réalisés dans les pays qui favorisent les paiements publics directement sur les comptes des particuliers, comme l’Inde, la Mongolie et l’Iran, démontrent le rôle qu’un éventail plus large de choix politiques peut jouer dans les changements d’habitudes. Ces nouvelles données devraient encourager les gouvernements à adopter des politiques qui font progresser l’accès aux services financiers.

 

En outre, les progrès rapides réalisés dans les pays qui favorisent les paiements publics directement sur les comptes des particuliers, comme l’Inde, la Mongolie et l’Iran, démontrent le rôle qu’un éventail plus large de choix politiques peut jouer dans les changements d’habitudes. Ces nouvelles données devraient encourager les gouvernements à adopter des politiques qui font progresser l’accès aux services financiers.

L’accès aux services progresse, mais leur utilisation active stagne

Le rapport Global Findex fait aussi apparaître des données importantes sur l’utilisation des services financiers, données qui d’ailleurs sont cohérentes avec celles des fournisseurs mondiaux de services mobiles, collectées par la GSM Association (GSMA).

L’utilisation des services continue de stagner, notamment dans les pays qui ont fait de grands bonds en avant en matière d’accès. Bien que l’Inde ait enregistré de grands progrès en ce qui concerne l’accès aux services, ceux-ci sont toujours sous-utilisés puisque 48 % des comptes bancaires sont inactifs. La croissance du taux d’activité sur 90 jours des comptes d’argent mobile en Afrique a également été plus lente que ce qui était généralement attendu. Selon la GSMA, le taux d’activité qui était de 26 % en décembre 2012 n’atteint que 36 % en décembre 2017. Pourtant, ces chiffres ne doivent pas masquer une tendance globalement positive. Le rapport de la GSMA (Le point sur le secteur : Les services d’argent mobile en 2017) met en évidence une hausse rapide du nombre de comptes enregistrés, par exemple de 27 points de pourcentage en Inde depuis 2014 et, en ce qui concerne les comptes d’argent mobile en Afrique, de 25 % en 2017. Étant donné que les nouveaux comptes sont moins susceptibles d’être utilisés, cela suggère que les taux d’utilisation réels sont peut-être meilleurs que nous le pensons. En revanche, cela démontre que les opérateurs auront à relever un défi important : susciter l’augmentation de l’utilisation de leurs services.

Les données de la GMSA indiquent aussi que le taux d’utilisation progresse à mesure qu’une plateforme élargit les possibilités de transactions. Au-delà des paiements de personne à personne, des recharges de crédits de communication et des encaissements/décaissements, les transactions possibles s’étendent progressivement aux paiements groupés, aux règlements d’achats et aux paiements de factures. Le rapport Global Findex confirme ces évolutions, mais souligne aussi qu’il nous reste beaucoup à faire pour généraliser la numérisation des paiements. Dans les pays en développement, le nombre de personnes ayant effectué ou reçu un paiement numérique au cours de la dernière année est passé de 32 % en 2014 à 44 % en 2017. Cela démontre qu’un nombre croissant de personnes adoptent la technologie numérique pour réaliser des transactions.

Pour certaines transactions, les données Global Findex font état d’un glissement progressif des paiements en espèces vers le numérique. Par exemple, 53 % des répondants vivant dans des pays en développement ont déclaré avoir payé de cette manière une facture d’eau ou d’électricité en 2017, 27 % avoir envoyé ou reçu des transferts domestiques, 19 % avoir reçu un paiement effectué par l’État et 15 % un paiement pour la vente de produits agricoles. Pour toutes ces transactions, la proportion d’utilisateurs de paiements numériques a progressé de façon significative et celle des adeptes des espèces a reculé d’autant. C’est donc en continuant à encourager l’abandon du paiement en espèces pour un nombre croissant de transactions que nous pourrons augmenter le taux global d’utilisation de la finance numérique.

Néanmoins, la marge de progrès reste importante. Pour tous les types de transactions cités plus haut, le nombre de celles effectuées via un compte bancaire est en augmentation, mais il est encore assez faible. Ainsi, 28 % des personnes ayant réglé une facture d’eau ou d’électricité dans un pays en développement l’ont fait à partir de leur compte (elles étaient 15 % en 2014). Cette proportion est de 46 % pour l’envoi ou la réception de fonds (contre 30 % auparavant), et de 65 % en ce qui concerne l’encaissement de versements par l’État (contre 59 %). Enfin, parmi les personnes ayant reçu des paiements de la vente de produits agricoles, seules 18 % ont utilisé un compte (à comparer aux 8 % de la période précédente). On constate que les mesures prises par les gouvernements afin de promouvoir l’ouverture de comptes pour recevoir des paiements portent leurs fruits, même si la proportion peut encore s’améliorer. Dans les autres cas de figure, il reste beaucoup à faire pour inciter les personnes à utiliser un compte bancaire.

Quels sont les enjeux pour les pauvres ?

Notre communauté ne dispose pas encore de données assez précises sur les bénéfices réels que peuvent retirer les personnes pauvres de l’accès aux services financiers, que ce soit par l’utilisation directe de ces services ou parce que les financements obtenus leur permettent d’accéder à d’autres services de base, tels que l’électricité, l’eau potable, la santé et l’éducation. Les conclusions de certaines recherches fournissent des renseignements intéressants, notamment sur les paiements et l’épargne, mais nous sommes loin de disposer d’un panorama complet de la situation. Le manque de données concerne en particulier les crédits, c’est-à-dire le service financier le plus rentable pour la plupart des fournisseurs. En matière de bien-être, si la détermination de ses causes peut nécessiter une analyse d’impact particulière, nous pouvons d’ores et déjà mesurer les effets de certains facteurs pour tenter de répondre à une question importante : les produits financiers peuvent-ils nuire au bien-être ?

Lors d’un récent voyage au Kenya, j’ai constaté que l’émergence d’une bulle du crédit numérique suscitait de vives inquiétudes, émergence d’ailleurs confirmée par les études du CGAP. En Tanzanie, nous avons mené une enquête téléphonique sur le crédit numérique, représentative à l’échelle nationale, et découvert que la moitié des emprunteurs remboursaient leur crédit avec du retard et qu’un tiers était en défaut de paiement. Il est par conséquent indispensable d’aider les gouvernements à cerner les risques liés à des services financiers de plus en plus accessibles aux pauvres et à y remédier. Il est tout aussi nécessaire de renforcer la capacité des prestataires à fournir des services financiers de manière responsable et d’aider les consommateurs à comprendre les produits financiers qu’ils utilisent et les conséquences d’un défaut de paiement.

Je travaille dans le domaine de l’inclusion financière depuis 18 ans et l’ampleur des progrès réalisés ces dix dernières années est inédite. C’est une période passionnante pour qui s’implique en faveur de l’inclusion financière. Mais nous avons encore beaucoup à faire pour atteindre les groupes marginalisés, améliorer les taux d’utilisation à tous les niveaux et veiller à ce que les services financiers soient fournis de manière responsable et durable. Les équipes du CGAP et moi-même avons hâte de poursuivre la collaboration avec nos partenaires pour atteindre ces nouveaux objectifs.

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