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Utiliser le système financier soudanais pour endiguer la famine

Crédit photo : EBRAHIM

Aujourd’hui (3 décembre 2024, ndlr) marque le 600e jour de guerre au Soudan, une guerre qui a généré ce que l’ONU appelle « un cortège de souffrances ». Alors que les crises en cours en Ukraine et à Gaza attirent de plus en plus l’attention de la communauté internationale, le Soudan est devenu le cadre d’une famine avérée et de la plus grande crise de déplacement de population au monde. Bien que l’attention internationale soit focalisée sur d’autres régions du monde, la crise au Soudan exige une action immédiate. Le renforcement de la capacité du secteur financier à fournir une aide humanitaire pourrait jouer un rôle essentiel pour atténuer la famine et les souffrances.

Dans une grande partie du pays, la nourriture est encore disponible, mais les gens n’ont plus d’argent pour acheter ce dont ils ont besoin. Les hommes étant blessés ou recrutés par des groupes armés, les femmes et les filles sont contraintes de lutter contre la faim en adoptant des stratégies de survie de plus en plus extrêmes. Les repas sautés sont monnaie courante et les enfants affamés n’ont parfois que de l’eau à leur disposition.

Les transferts monétaires humanitaires sont un outil efficace pour réduire la faim lors de conflits. Les groupes d’entraide soudanais utilisent les transferts monétaires pour intervenir en premier lieu dans les communautés difficiles d’accès touchées par la famine. Mais l’intensification des transferts monétaires repose sur une monnaie fiable et des institutions financières opérationnelles. Les bailleurs de fonds et les acteurs internationaux ont un rôle essentiel à jouer pour protéger ce qu’il reste d’un système financier opérationnel afin de limiter les souffrances et la famine au Soudan.

 Les bailleurs de fonds et les acteurs internationaux ont un rôle essentiel à jouer pour protéger ce qu’il reste d’un système financier opérationnel afin de limiter les souffrances et la famine au Soudan.

 

Que se passe-t-il au Soudan ? 

Le conflit a divisé le Soudan en zones clairement délimitées, contrôlées par les Forces armées soudanaises (FAS), les Forces de soutien rapide (FSR) ou d’autres acteurs armés. Les civils des zones contrôlées par les FSR les plus impactés par le conflit. Des combats intenses, des perturbations des marchés et la militarisation de l’aide alimentaire ont contribué à la famine au Darfour-Nord. Les personnes disposant de ressources fuient ces zones les plus durement touchées, se dirigeant vers des régions plus calmes ou cherchant l’asile dans des pays confrontés à leurs propres difficultés, notamment le Tchad et le Soudan du Sud.

Que reste-t-il du système financier soudanais ?

Même avant la guerre, le Soudan avait un faible niveau d’inclusion financière : seulement 15 % des Soudanais avaient accès à un compte bancaire et des endroits comme l’État du Darfour-Sud (qui fait à peu près la taille de l’Autriche et abrite plus de 3 millions d’habitants) n’avaient aucune succursale de banque commerciale. La guerre a créé de nouveaux défis pour le secteur financier soudanais, notamment l’épuisement des réserves de change en raison de l’augmentation de la demande d’importations et la perte de valeur de la livre soudanaise de plus des deux tiers par rapport au dollar américain depuis septembre 2023. L’impression de monnaie n’a été rétablie que récemment et un plan récent visant à retirer les vieux billets de banque fait craindre que ceux qui n’ont pas accès à des comptes bancaires ou à des succursales en pâtissent. Les leçons tirées d’autres contextes fragiles comme le Yémen ont démontré les défis que posent les changements de monnaie en période de conflit, avec leurs conséquences négatives sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance.

La majeure partie de la monnaie soudanaise circule désormais en dehors du secteur bancaire. Les banques ont souvent besoin de plusieurs semaines pour réunir les liquidités nécessaires aux distributions d’argent d’urgence destinées à soutenir la lutte contre la famine. L’application Bankak de la Banque de Khartoum sort toutefois son épingle du jeu, en facilitant plus de 50 millions de transactions depuis le début de la guerre. Cependant, cela s’accompagne souvent de frais supplémentaires allant jusqu’à 20 % perçus par les agents au moment du retrait. Le succès de Bankak suscite l’intérêt pour l’ouverture de comptes, même en plein conflit dans des endroits comme Khartoum.

Dans les zones contrôlées par les FSR dans l’ouest du pays, notamment au Darfour où sévit la famine, les canaux de distribution sont en grande partie informels et dominés par des acteurs de plus petite taille. Les solutions comme Bankak, qui fonctionnent ailleurs dans le pays, sont freinées par un accès limité à l’électricité, à la connectivité et aux cartes d’identité ou numéros d’identité (une condition requise pour ouvrir un compte). Les réseaux et les négociants Hawala continuent de fournir des transferts de fonds et d’accorder des crédits comme ils le font depuis des siècles. Ils contribuent également à la distribution d’argent humanitaire.

Le secteur financier joue un rôle essentiel dans la réponse à la famine et doit être renforcé

Les prestataires formels et informels travaillent dans des conditions difficiles pour maintenir leur offre de services financiers. Ces outils sont utilisés dans les interventions contre la famine en facilitant les achats au détail locaux, en permettant les transferts de fonds transfrontaliers et en offrant un canal pour les transferts d’argent humanitaires. Cependant, tous ces canaux combinés n’offrent qu’une partie infime de ce dont le Soudan a besoin pour faire face à une crise alimentaire croissante. En outre, les nouvelles directives sur le change risquent de limiter davantage les stratégies d’adaptation et de réponse pour les personnes non bancarisées.

Alors que 100 millions de dollars d’aide humanitaire en espèces devraient être distribués d’ici la fin de l’année, leur mise en œuvre effective dépend de la mobilisation et du renforcement du secteur financier soudanais. Voici ce que les bailleurs de fonds et les acteurs internationaux peuvent mettre en place pour soutenir le secteur financier soudanais face à l’ampleur de la tâche qui l’attend :  

  • Accorder la priorité à la connectivité dans les négociations sur l’accès humanitaire : les pannes de réseau et les coupures d’Internet freinent l’accès aux canaux financiers numériques là où ils sont le plus nécessaires. Les acteurs internationaux peuvent faire valoir la nécessité d’une connectivité ininterrompue dans le cadre de négociations plus larges sur l’accès, tout en continuant à promouvoir la restauration des infrastructures de connectivité.
  • Favoriser l’inclusion financière des plus vulnérables en autorisant l’ouverture de compte à distance : aujourd’hui, pour la majorité des banques, ouvrir un nouveau compte individuel ou commercial signifie souvent se rendre dans une agence bancaire et présenter une pièce d’identité officielle (que les femmes sont moins susceptibles de posséder). La banque centrale du Soudan a pris des mesures pour rendre l’ouverture de compte à distance plus accessible en simplifiant les exigences de connaissance du client (KYC) (y compris en autorisant l’ouverture de compte à distance). Mais les banques auront besoin de temps pour exécuter des procédures simplifiées dans les zones de guerre et les comptes resteront hors de portée de ceux qui n’ont pas de numéro national et d’autres documents requis. Les acteurs internationaux peuvent aider en apportant des connaissances et des outils d’autres marchés où l’ouverture de compte à distance se fait depuis plus longtemps.
  • Créer une feuille de route provisoire pour le redressement du secteur financier : le conflit au Soudan se poursuit, mais le secteur financier a besoin d’être soutenu dès aujourd’hui. Par nécessité, les agences humanitaires diagnostiquent et trouvent elles-mêmes des solutions aux problèmes systémiques du secteur financier. La communauté du développement au sens large peut jouer un rôle en aidant les parties prenantes à fixer des objectifs clairs et communs de redressement du secteur financier autour desquels les acteurs humanitaires, du développement et du secteur privé peuvent se rallier.

Le secteur financier soudanais a fait preuve d’une force et d’une résilience surprenantes malgré près de deux ans de conflit intense. Le secteur continue de fonctionner – littéralement – ​​en première ligne pour apporter un soutien afin d’atténuer les pires conséquences d’une crise de famine qui s’étend. Mais il faut faire davantage pour que ces outils fonctionnent – ​​et il n’y a pas de temps à perdre.

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