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Ce que la Côte d’Ivoire nous apprend sur les écosystèmes financiers numériques responsables

Une agent de mobile money en Côte d'Ivoire

Depuis plusieurs années, le CGAP travaille dans la région UEMOA pour renforcer la protection des consommateurs des utilisateurs de services financiers numériques à travers son laboratoire pour la protection des consommateurs de services financiers numériques (SFN) dans l’UEMOA .Les trois pays cibles (Côte d’Ivoire, Sénégal et Burkina Faso) ont mis au point plusieurs éléments du cadre conceptuel de l’écosystème financier numérique responsable (RDFE) du CGAP – notamment une enquête nationale sur les risques auxquels sont confrontés les utilisateurs de la finance numérique, l’élaboration d’un plan d’action pour lutter contre ces risques, et sa mise en oeuvre de manière à ce que les consommateurs soient confrontés à moins de risques et obtiennent de meilleurs résultats lorsqu’ils utilisent des services financiers numériques. En 2022, en collaboration avec l’Agence pour la promotion de l’inclusion financière (APIF) et l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF), le CGAP a mené la première enquête de ce type en Côte d’Ivoire pour comprendre l’expérience, les défis et les risques auxquels sont confrontés les utilisateurs de services financiers numériques (SFN). Dans un contexte d’adoption croissante de ces services, les résultats ont montré des niveaux élevés d’exposition des utilisateurs aux risques et défis, notamment la fraude et le manque de transparence. Si les niveaux restent élevés, une enquête de suivi réalisée en 2024 a révélé des améliorations encourageantes, avec une réduction significative des risques et défis auxquels sont exposés les utilisateurs des SFN en Côte d’Ivoire.

Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière les progrès accomplis, le CGAP a mené plusieurs entretiens avec des acteurs de premier plan de l’écosystème ivoirien – trois principaux enseignements en ressortent.

Evolution des types de défis auxquels font face les utilisateurs de SFN en Côte d’Ivoire

Evolution des types de défis auxquels font face les utilisateurs de SFN en Côte d’Ivoire

 

1. Obtenir des données complètes sur les consommateurs au niveau national est essentiel pour mesurer l’exposition aux risques et aider les autorités à élaborer des plans d’action 

Pour la première fois, l’enquête de référence 2022 a fourni à toutes les parties prenantes de l’écosystème des SFN ivoiriens des données nationales et une image précise et très détaillée des risques et défis associés à l’utilisation des SFN sur leur marché. Les données étaient notamment basées sur un échantillon représentatif des utilisateurs au niveau national et pouvaient également être désagrégées par sexe et niveau d’éducation ou de revenu. Les parties prenantes de l’écosystème disposaient déjà d’informations via les retours d’expérience sur le terrain et leurs propres enquêtes, mais celles-ci ne couvraient pas toujours tous les domaines de risque mis en évidence par l’enquête. Ces données détaillées ont permis aux autorités nationales, aux fournisseurs et aux associations de consommateurs d’orienter leurs prises de décision et leurs actions pour soutenir l’adoption des SFN en toute sécurité, avec des résultats positifs pour les consommateurs. Les trois principaux risques pour les consommateurs qui sont apparus lors de la première enquête étaient les niveaux élevés de fraude, le manque de transparence des services financiers numériques et les difficultés à effectuer des transactions en raison de problèmes de réseau.

L’analyse collective de ces données a aidé les autorités nationales et les autres acteurs de l’écosystème à élaborer des plans d’action qui répondent aux principaux risques et défis identifiés.

Lors de la présentation des résultats de l’enquête, tous les acteurs de l’écosystème de la finance numérique ont pu découvrir les données ensemble. C’était probablement la première fois qu’ils se retrouvaient ensemble dans le même lieu. Cela a initié un processus unique qui leur a permis de mieux comprendre les réalités des consommateurs et de parvenir à un consensus sur les risques et défis les plus importants à traiter, et ainsi d’identifier les principales actions à mettre en œuvre. Cela a permis de mettre au point rapidement un plan d’action élaboré par les autorités nationales. Ce plan d’action, réaliste et à court terme, a également enrichi le plan d’action de mise en œuvre de la stratégie nationale d’inclusion financière existante et les projets annuels des autorités nationales. L’accent a été mis sur la réduction de l’exposition à la fraude par des actions d’éducation et de sensibilisation des consommateurs.

2. Les données de l’enquête permettent aux fournisseurs de services financiers digitaux d’affiner leur compréhension de la situation et, dans certains cas, d’influencer leurs actions

Les résultats de l’enquête initiale sont venus compléter les données dont les fournisseurs disposaient déjà en interne. Cela leur a permis non seulement de renforcer les actions déjà entreprises, mais aussi de lancer de nouvelles initiatives pour améliorer l'expérience clients et réduire leur exposition aux risques.

"Ces données contribuent au renforcement de notre dispositif d’analyse pour une meilleure connaissance de nos clients et de leurs attentes ; Elles permettent d’ouvrir de nouveaux axes de travail et d’améliorer les actions en cours."

Entretien avec Valérie Gossan, Compliance Officer chez Orange Mobile Money en Côte d’Ivoire.

 

Au cours des deux dernières années, tous les fournisseurs ont mis l’accent sur la lutte contre la fraude et les escroqueries, avec des résultats positifs. Par exemple, le pourcentage d’utilisateurs ayant perdu de l’argent à cause d’une fraude ou d’une escroquerie a été réduit de 64 %.

Les fournisseurs de mobile money, comme MTN et Orange, ont amélioré la transparence des coûts des services qu’ils proposent, avec beaucoup plus de clarté sur les coûts de transaction pour les consommateurs. Ainsi, en 2024, seuls 6 % des utilisateurs ont déclaré ne pas avoir d’informations sur les coûts avant d’effectuer leurs transactions, contre 33 % en 2022.

Sur la base des plaintes des consommateurs, le régulateur des télécoms a fait de l’amélioration de la qualité du réseau GSM une priorité. Cela s’est traduit par des injonctions plus strictes aux opérateurs mobiles pour améliorer le réseau, ainsi que par l’adoption d’une nouvelle approche en matière d’amendes, dont les recettes doivent désormais être réinvesties dans l’amélioration de la qualité de service.

Exposition à au moins un risque lié à l'utilisation de SFN

Exposition à au moins un risque lié à l'utilisation de SFN

Perte financière résultant d'un risque

Perte financière résultant d'un risque

Les fournisseurs ont également amélioré le traitement des réclamations, que ce soit en mettant en place des procédures opérationnelles plus efficaces, en augmentant le nombre de canaux par lesquels les clients peuvent contacter le fournisseur de services ou en améliorant les délais d’attente dans les centres d’appels. L’impact de ces actions a conduit à une augmentation très significative du pourcentage de personnes ayant contacté les fournisseurs de services lorsqu’elles rencontraient des difficultés. Ce pourcentage a plus que doublé en deux ans.

% des utilisateurs qui ont contacté leur fournisseur, parmi ceux qui ont vécu au moins une difficulté

% des utilisateurs qui ont contacté leur fournisseur, parmi ceux qui ont vécu au moins une difficulté

D’autre part, la concurrence féroce a entraîné une baisse des prix et, par conséquent, une baisse des commissions versées aux agents. Cette tendance a entraîné de nouveaux risques, ou a exacerbé ceux existants, lors des relations avec les agents. En 2024, 54 % des utilisateurs ont dû faire face à une demande de frais supplémentaires de la part des agents au moins une fois au cours des 12 derniers mois, contre 8 % en 2022, et 37 % se sont vu refuser un petit dépôt ou un retrait. Cette difficulté n’avait pas été mentionnée en 2022.

Par ailleurs, en 2024, les agents ont apporté moins d’assistance aux clients qu’en 2022 dans tous les domaines, ce qui se justifie par la baisse de certains risques mais pas dans tous les cas de figure. Par exemple, en 2022, 60 % des utilisateurs de DFS ont déclaré avoir reçu des avertissements de la part des agents concernant des cas de fraude et d’arnaques, alors qu’en 2024, ils n’étaient que 33 % à l’avoir fait, malgré une légère diminution des tentatives.

3. Il est essentiel que les parties prenantes acceptent de mener régulièrement de telles enquêtes et d’intégrer les résultats dans un nouvel ensemble d’actions

Réunis lors d’un atelier pour discuter des résultats de l’enquête de suivi et des évolutions depuis 2022, les acteurs de l’écosystème se sont mis d’accord sur un certain nombre d’actions pour faire face aux risques et défis les plus critiques pour l’adoption des SFN en Côte d’Ivoire. Les priorités comprenaient la poursuite de la lutte contre la fraude et les escroqueries grâce à de nouvelles collaborations facilitées par l’OQSF. Les fournisseurs se sont également engagés à renforcer la formation des agents afin qu’ils puissent mieux assister les clients, en parallèle avec l’exploration de l’introduction de bonus incitatifs. Les fournisseurs de crédit numérique et les autorités ont convenu qu’ils devraient renforcer la lutte contre les offres de crédit numérique illégales avec les fournisseurs. Dans le même temps, ils prévoient d’améliorer la conception de leurs produits et la transparence pour mieux répondre aux besoins des clients. Cette amélioration pourrait inverser le déclin de l’adoption des SFN entre 2022 et 2024. Enfin, les autorités se sont également engagées à inclure davantage les femmes dans la finance numérique car elles ne représentent que 31 % des utilisateurs des SFN.

L’expérience des consommateurs utilisant les SFN en Côte d’Ivoire nécessite une attention continue. Néanmoins, les résultats de cette deuxième enquête, combinés à l’engagement des acteurs clés à continuer d’œuvrer pour des services financiers numériques plus responsables et à mesurer les progrès réalisés, sont très encourageants. Cette expérience et les leçons apprises sont essentielles pour la mise en œuvre future du RDFE, notamment pour nos prochains pilotes au Rwanda et au Pérou, et pour d’autres pays qui s’efforcent de rendre leurs propres écosystèmes plus responsables.
 

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