Blog FinDev

Les promesses de l'IA : une nouvelle ère pour l'inclusion financière

Des signes lumineux représentant l'IA.

L'intelligence artificielle (IA) va profondément transformer le secteur financier dans les années à venir. L'intégration des technologies d'IA, comme l'apprentissage automatique, le traitement du langage naturel, l'IA générative ou encore l'analyse avancée des données, permettra aux institutions financières d'optimiser leurs opérations, d'améliorer l'expérience client, de développer des produits innovants, et aussi de mieux gérer les risques. L'IA révolutionne déjà l’accessibilité et la gestion des services financiers aux particuliers, qu’il s’agisse de détecter des fraudes en temps réel ou de fonder les décisions de crédit sur les données des téléphones mobiles, et ces changements devraient s'accélérer rapidement.

Selon McKinsey, le potentiel de création de valeur de l'IA générative résultant des gains de productivité dans le secteur bancaire est estimé entre 200 et 340 milliards USD de revenus annuels supplémentaires, soit 2,8 à 4,7 % du chiffre d'affaires total du secteur à l'échelle mondiale, sans compter les gains résultant d'une meilleure gestion des risques. Compte tenu du potentiel considérable de l'IA, les dépenses mondiales du secteur financier dans ce domaine devraient passer de 35 milliards USD en 2023 à 126 milliards USD en 2028. Certaines prévisions suggèrent que l'IA pourrait permettre aux institutions financières d’accroître la rapidité de traitement des transactions de 90 % et potentiellement de faire économiser au secteur 1 000 milliards USD à l'échelle mondiale d'ici 2030.

Cette révolution de l'IA est extrêmement prometteuse pour l'inclusion financière si elle est bien exploitée.

Cette révolution de l'IA est extrêmement prometteuse pour l'inclusion financière si elle est bien exploitée. Mais cette promesse ne peut se réaliser seule. Sa concrétisation n’a rien d’automatique. Le secteur de l'inclusion financière doit investir dans le développement de nouveaux modèles bancaires qui sauront tirer parti de cette opportunité pour servir les segments à faibles revenus. L'impact potentiel de ces nouveaux modèles a toutes les chances d’être à la fois significatif et rapide.

L’IA : des opportunités à la fois pour les clients à faibles revenus et pour les prestataires

L'IA est potentiellement le catalyseur de transformation qu’il nous fallait pour concevoir des produits qui répondent mieux aux besoins d'un plus grand nombre de clients, tout en incitant les prestataires de services financiers (PSF) à servir les clients traditionnellement mal desservis dans les zones reculées. Elle peut lever les principaux obstacles à l'inclusion financière en réduisant les coûts, en améliorant l’adaptation des produits, en comblant les déficits d'information et en renforçant la confiance.

Des coûts réduits

L'IA a le pouvoir de réduire considérablement les coûts tout au long de la chaîne de valeur des services financiers, par la modification profonde du coût d'acquisition et de fidélisation des clients et du coût du traitement des transactions financières. Ces gains devraient inciter les PSF à servir davantage les clients à faibles revenus malgré le faible montant des transactions concernées.

Au cours des dernières années, le coût d'acquisition de nouveaux clients pour les institutions financières a considérablement diminué grâce à la numérisation.  Par exemple, selon le FMI, l'infrastructure numérique de l'Inde, qui comprend l'interface UPI (United Payments Interface, le système de paiement instantané indien) et l'Aadhaar (le système d'identification biométrique indien), a fait baisser le coût d'acquisition des clients pour les institutions financières de 12 à 6 centimes USD. L'IA a le pouvoir de réduire encore davantage les coûts d'acquisition de nouveaux clients en rationalisant les processus KYC et d'authentification des clients. C’est ce que devrait permettre par exemple le lancement du Registre central KYC en Inde, qui utilise des algorithmes de correspondance et la reconnaissance faciale. Naturellement, ces exemples montrent qu'il est essentiel pour les pays de disposer d'une infrastructure numérique robuste et de politiques favorables pour tirer parti de l'IA afin de continuer à améliorer l'efficacité du secteur. 

En outre, en facilitant l'automatisation des processus et l'analyse de grands ensembles de données, l'IA réduit également les coûts d'exploitation des institutions financières, grâce à un traitement plus efficace des demandes au service clientèle, des réclamations, de la gestion des fraudes et de nombreux autres processus administratifs et opérationnels. L'IA peut également aider à réaliser de meilleures analyses de segmentation de la clientèle et, par conséquent, à améliorer le ciblage et la vente croisée en identifiant quels produits proposer à quels segments de clientèle, en améliorant les informations sur les produits et en identifiant les caractéristiques qui conviennent le mieux aux clients. En outre, la souscription automatisée basée sur l'IA permet également d'accélérer le processus d’approbation de prêts et de réduire son coût. Au total, l'IA réduit considérablement le coût du traitement des transactions de faible montant, ce qui rend le segment des personnes à faibles revenus plus rentable et plus attrayant pour les PSF. 

Une meilleure adaptation des produits

Globalement, les institutions financières ont jusqu’ici surtout proposé des produits standardisés qui ne répondaient pas toujours aux besoins des populations mal servies, privant ainsi de nombreuses personnes de l'accès à des services financiers essentiels. L'IA peut faire beaucoup pour la capacité des PSF à collecter des données sur les clients à faibles revenus, notamment en remplaçant les sondages coûteux par l’exploitation des empreintes numériques et/ou du big data. En outre, l'IA peut rendre plus efficace l’analyse des données collectées, et ainsi permettre une approche fondamentalement nouvelle de la conception de produits inclusifs, fondée sur une connaissance approfondie et en temps réel des besoins et des flux de trésorerie des clients à faibles revenus. Cette révolution technologique permet déjà de concevoir des produits sur mesure à faible coût. 

Par exemple, des fintechs telles que Boost au Nigeria, Copia au Kenya, Fairbanc en Indonésie et Mercado Pago au Brésil ont développé des solutions financières intégrées qui connectent des commerçants de proximité à des plateformes de commande numériques. Ainsi connectés, les vendeurs peuvent accéder à des lignes de crédit sur mesure pour le financement de stock à des conditions raisonnables, sur la base d'analyses détaillées de leurs flux de trésorerie. Le financement intégré et les prêts sur mesure basés sur l'IA peuvent grandement contribuer à réduire le déficit de financement des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), qui se chiffre à 5 000 milliards USD.

L'utilisation d'interfaces conversationnelles basées sur l'IA peut également changer la donne en matière d’accessibilité et d’adéquation des produits financiers pour les personnes vivant dans des régions isolées et pour les publics dotés d’un faible niveau d’alphabétisation. Les assistants vocaux et les chatbots basés sur l'IA permettent aux clients d'interagir avec les institutions financières 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, dans leur propre langue, tout en étant guidés à travers des processus financiers complexes grâce à des explications basées sur le traitement du langage naturel. Ces avancées pourraient changer fondamentalement l'expérience des clients dans leur accès aux services financiers, en levant les obstacles liés à la langue, au niveau d’éducation et à la localisation.

L'utilisation d'interfaces conversationnelles basées sur l'IA peut également changer la donne en matière d’accessibilité et d’adéquation des produits financiers pour les personnes vivant dans des régions isolées et pour les publics dotés d’un faible niveau d’alphabétisation.

En outre, l'IA peut faciliter l’offre conjointe de services financiers et de services non financiers, comme par exemple en fournissant des informations météorologiques aux petits exploitants agricoles ou des conseils en matière d'investissement et de gestion d'entreprise aux micro-entrepreneurs, qui renforcent l'impact des services financiers. Par exemple, Digital Green a développé Farmer.Chat, un chatbot alimenté par l'IA conçu pour fournir des conseils agricoles personnalisés en temps réel aux petits exploitants agricoles, en plus de services financiers.

Le potentiel révolutionnaire de l'IA en matière d'inclusion financière s’accroît à mesure de l'évolution de ses capacités et de son accessibilité. Par exemple, l'IA pourrait analyser différents ensembles de données afin de créer des plans d'assurance personnalisés pour les personnes à faibles revenus, en adaptant la couverture à leurs besoins spécifiques. Elle pourrait également faciliter la création de micro-comptes d'épargne adaptés aux habitudes financières spécifiques des populations mal servies et aider à concevoir des plans de retraite adaptés au potentiel d'épargne des travailleurs du secteur informel, qui n'ont généralement pas accès aux régimes de retraite traditionnels.

Une réponse au manque de données sur la solvabilité

Pendant de nombreuses années, l'accès au crédit était hors de portée des personnes à faibles revenus en raison de leur absence d’historique de crédit et de leur manque de garanties. Mais grâce au développement de l’empreinte numérique et des modèles d'IA, les prestataires de services financiers ont commencé à délaisser ce modèle traditionnel et à changer leur mode d’évaluation de la solvabilité et du risque de crédit, au bénéfice des clients à faibles revenus. Plus précisément, les algorithmes d'IA peuvent évaluer la solvabilité en utilisant des sources de données alternatives, telles que les transactions numériques, le paiement des factures de services publics, les achats de stocks ou les flux de trésorerie liés aux ventes, avec une grande précision en matière de prévision des pertes.

Par exemple, les fintechs indiennes Fundfina (qui propose des crédits aux petits commerçants) et KarmaLife (qui fournit des crédits aux microentrepreneurs travaillant pour des plateformes) ont utilisé des modèles de notation de crédit basés sur les données des transactions et ont obtenu une capacité prédictive similaire à celle des modèles basés sur l'historique de crédit. L’avènement de ces modèles pourrait changer la donne et permettre de combler le fossé en matière d'accès au crédit pour les personnes à faibles revenus et les nano, micro et petites entreprises, qui manquent souvent d'antécédents de crédit et de garanties, mais génèrent de plus en plus d’empreintes numériques.

Une confiance renforcée

L'IA a également le pouvoir de renforcer la confiance des clients envers les institutions financières en améliorant la détection et la prévention des fraudes, y compris pour les transactions de faible montant. En règle générale, les prestataires de services financiers fixent un montant seuil en dessous duquel ils ne donnent pas suite aux cas de fraude ou aux réclamations. Mais en réduisant considérablement le coût de la gestion des fraudes, l’IA peut permettre aux prestataires de services financiers de traiter aussi les cas de fraude ou de réclamations portant sur de faibles montants, contribuant ainsi à renforcer la confiance des clients. En outre, les assistants vocaux et les chatbots basés sur l'IA ont également un impact positif sur la confiance en offrant davantage d'options pour aider les clients, notamment une assistance en temps réel dans leur propre langue. Les applications d'éducation financière basées sur l'IA, qui sensibilisent les utilisateurs à l'épargne, à l'investissement et à l'emprunt responsable, sont aussi susceptibles de renforcer la confiance des clients dans l'utilisation des services financiers.

L'IA peut également contribuer à renforcer la surveillance des services financiers, par exemple en opérant un suivi des réseaux sociaux afin d'anticiper les risques pour les consommateurs. En analysant de grandes quantités de données issues des réseaux sociaux, les autorités de surveillance peuvent détecter des signaux d'alerte précoce de préjudice pour les consommateurs, tels que des pratiques agressives de recouvrement de créances ou l'utilisation abusive de données, et utiliser ces informations dans l’élaboration des réglementations. Par exemple, la Banque centrale des Philippines a lancé un chatbot (BSP Online Buddy) qui permet aux consommateurs de déposer des plaintes auprès de la banque centrale par SMS ou Facebook Messenger, et qui utilise des solutions technologiques de supervision (SupTech) pour analyser ces données et surveiller les comportements abusifs sur le marché. Si elle est mise en œuvre de manière responsable, ce type de surveillance basée sur l'IA pourrait créer des circuits de traitement en temps réel qui renforceraient la protection des consommateurs.

Les risques liés à l'IA doivent être gérés de manière proactive

Si l’IA présente un immense potentiel en matière d'inclusion financière, elle comporte également des risques importants, notamment une augmentation rapide de la fraude, des violations de la sécurité des données et des cyberattaques.

En raison de sa dépendance à de vastes ensembles de données, l'utilisation de l'IA augmente le risque de fraude et de violation des données en exploitant la reconnaissance de motifs, qui permet de lever l’anonymat de certaines données et de faciliter d'autres formes de manipulation. La fraude financière est également de plus en plus automatisée grâce à l'IA, ce qui la rend plus difficile à détecter et à prévenir. Les clients à faibles revenus, qui ont généralement moins de connaissances numériques et financières que les autres, sont particulièrement vulnérables à ces manipulations.

En outre, l'IA crée un risque de discrimination accrue dans l’accès aux services financiers en raison des biais algorithmiques. En effet, si les empreintes numériques augmentent globalement pour les personnes à faibles revenus dans le monde entier, elles restent néanmoins moins nombreuses pour ce segment, en particulier pour les femmes. Ces groupes restent moins connectés aux interfaces numériques et les bases de données publiques et privées ne sont pas toujours ventilées par niveau de revenus ou par sexe, ce qui peut entraîner des biais potentiels dans les modèles d'IA en raison d’un manque de données représentatives sur les populations mal desservies. Ce biais pénalise de manière disproportionnée les groupes dont les données formelles sont limitées.

Enfin, en l’absence d’expertise suffisante en matière d'IA, le risque est que les institutions financières et les autorités de surveillance accordent une confiance excessive aux résultats produits par les algorithmes, sans assurer un contrôle humain essentiel. Une telle approche pourrait compromettre la protection des consommateurs et amplifier les risques systémiques.

Il est impératif de garantir des innovations sûres et inclusives

Il ne fait aucun doute que l'IA va profondément transformer de nombreux aspects de l'administration publique, des entreprises et de la société. Il en sera de même pour le secteur financier et les initiatives visant à améliorer l'inclusion financière. Mais pour libérer pleinement ce potentiel, il est impératif d'investir dans l'IA et de tirer parti des formidables possibilités qu’elle offre pour l’inclusion financière tout en se prémunissant contre les risques qu’elle comporte.

Les choix que nous faisons aujourd'hui détermineront les effets de l’IA de demain : creuser les fractures économiques ou élargir les opportunités pour tous.

Pour commencer, il sera essentiel d'investir dans la connectivité, les infrastructures publiques numériques et les écosystèmes de données inclusifs (permettant l’accès aux données des individus sur la base de leur consentement, et favorisant la disponibilité de données ventilées par revenu et par sexe). Ces investissements sont indispensables pour garantir que les personnes jusqu’ici exclues puissent générer des données et bénéficier des solutions financières basées sur l'IA. En outre, des politiques et des incitations claires et équilibrées et une surveillance adaptée sont nécessaires pour garantir que les PSF exploitent les solutions d'IA pour étendre leurs services aux clients actuellement exclus ou mal servis. Il est tout aussi important que les modèles d'IA utilisés par les PSF soient exempts de biais et fournissent des résultats équitables et positifs pour tous les clients, afin de favoriser l'inclusion, la responsabilité et la transparence. Enfin, le renforcement de la protection des consommateurs, de la confidentialité des données et de la cybersécurité, ainsi que les efforts d'éducation financière, seront également essentiels pour se prémunir contre les risques accrus liés à l’IA et instaurer la confiance.

De nouveaux modèles et algorithmes d'intelligence artificielle sont développés chaque jour, et au moment même où cet article est rédigé, des cas d'utilisation sont en cours en test et de déploiement. C'est le moment ou jamais de veiller à ce que l'IA favorise l'égalité et étende les opportunités, et non l’inverse. Mais pour y parvenir, une action proactive, réfléchie et collaborative est indispensable.

En d'autres termes, les choix que nous faisons aujourd'hui détermineront les effets de l’IA de demain : creuser les fractures économiques ou élargir les opportunités pour tous. Allons-nous l'utiliser pour construire un système financier plus inclusif et plus équitable ?

 

Commenter

Les commentaires sur cette page sont modérés par les éditeurs du Portail FinDev. Nous validons les commentaires qui apportent des perspectives et des idées pertinentes pour cet article. Pour en savoir plus.

Dr Émile N. HOUNGBO , Université nationale d'Agriculture , Bénin
23 juin 2025

C'est très intéressant. Cela permet de convaincre ceux qui pensent que le fait des banques soient en train de réduire le nombre d'agences est un indicateur de faillite. C'est plutôt une amélioration de la qualité pour au contraire servir aisément un plus grand nombre de clients à moindre coût.

Laisser un commentaire