Inclusion financière des femmes : au Maroc, une nouvelle coalition redéfinit les règles du jeu
Le Maroc aspire à mobiliser son secteur financier en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Bank Al-Maghrib et le ministère de l’Économie et des Finances du Maroc lancent, dans le cadre de la Stratégie nationale d’inclusion financière (SNIF) et en partenariat avec le CGAP, une coalition dédiée à l’inclusion financière des femmes.
Cette coalition adopte une nouvelle approche de mobilisation et de coordination des parties prenantes à la SNIF, pour réduire durablement les inégalités de genre dans le secteur financier.
Un paradoxe : des infrastructures solides, mais des écarts persistants
Le Maroc a réalisé des progrès notables dans la construction d’une infrastructure financière robuste, et a mis en place plusieurs initiatives pour stimuler l’utilisation des services financiers, avec par exemple l’obligation de verser les transferts sociaux sur des comptes, des incitations fiscales pour les commerçants acceptant les paiements numériques, et de vastes programmes d’éducation financière notamment pour les femmes.
Malgré cela, le pays présente encore l’un des écarts de genre les plus marqués en matière d’inclusion financière. L’écart de détention de compte atteint 20 points de pourcentage, soit quatre fois la moyenne des économies en développement (5 points). En 2024, seules 35 % des femmes adultes possédaient un compte dans une institution financière, contre 55 % des hommes.
En cause : des barrières multiples et des réponses cloisonnées
Cet écart important s’explique par des obstacles profonds et interconnectés, qui freinent à la fois la demande des femmes et l’offre de services adaptés. Côté demande, de nombreuses femmes considèrent la finance formelle comme peu adaptée à leur réalité : en cause, des revenus personnels faibles, irréguliers ou inexistants (moins de 20% des femmes sont sur le marché du travail), une préférence pour l’argent liquide et l’utilisation du compte de leur époux. Les femmes, particulièrement en zone rurale, font face à un manque de connaissances financières et numériques et à des contraintes de mobilité. Ces difficultés sont souvent accentuées par des normes sociales qui restreignent leur autonomie économique.
Du côté de l’offre, les institutions financières voient les femmes comme une priorité sociale, mais hésitent à investir commercialement dans ce segment. Cette hésitation s’explique par le faible taux d’adoption de leurs services et des rendements jugés insuffisants lors de précédentes initiatives. Résultat : elles investissent peu dans la connaissance de ce marché et n’adaptent pas suffisamment leurs services, ce qui entretient la faible demande et l’offre limitée.
De nombreuses initiatives ont tenté de briser ce cercle vicieux. Toutefois, abordant séparément les questions de demande et d’offre, et sans partage d’information systématique entre régions ou de coordination régulière entre niveaux du secteur financier (services, infrastructures, règlementations, politique), leurs résultats sont restés limités et peu durables. Un système coordonné, enrichi des expériences locales et globales, permettrait de progresser davantage vers une inclusion financière durable des femmes.
C’est dans cette optique que les autorités financières marocaines, avec l’appui du CGAP, lancent une coalition nationale dédiée à l’inclusion financière des femmes. Placée sous la direction des instances du secteur financier, cette coalition réunit banques, institutions de microfinance, établissements de paiement, compagnies d’assurance et leurs associations professionnelles ainsi que les entités publiques volontaires, tout en assurant une coordination étroite avec les institutions de développement.
Ce que la coalition fera différemment : cinq principes fondamentaux
Cette coalition associe ambition et action, diagnostic et mise en œuvre, stratégie et accompagnement opérationnel, en s’appuyant sur cinq principes clés.
1. Fixer un objectif national clair pour l’inclusion financière des femmes
Les femmes ne sont pas seulement un groupe prioritaire au sens large : elles sont une cible explicite de la nouvelle SNIF. Cet objectif clair transforme l’inclusion financière des femmes en un indicateur mesurable de réussite, créant un sentiment d’urgence, renforçant la responsabilité du secteur et favorisant une action intentionnelle. Il aligne également les autorités financières et les institutions financières autour d’un objectif commun.
2. Aligner stratégie et pratique pour un impact accru
La coalition ne se limite pas à créer des conditions favorables : elle s’assure que l’écosystème les exploite concrètement au bénéfice des femmes. Plutôt qu’une démarche séquentielle, du diagnostic aux réformes à la mise en pratique éventuelle, elle privilégie un cycle continu : les réformes servent de base à des projets pilotes, dont les résultats permettent d’ajuster les politiques. Un noyau composé de ministères, de la banque centrale et des associations professionnelles fixe l’orientation, tandis qu’un réseau plus large d’institutions financières teste les solutions, partage les obstacles rencontrés et les réussites, et contribue ainsi à l’ajustement de la stratégie. Le secteur privé, impliqué dès le départ, accélère la remontée d’informations concrètes du terrain.
3. Fournir un appui concret pour transformer les engagements en actions
La coalition est conçue pour mobiliser, pas seulement coordonner. Elle propose un soutien ciblé à ses membres pour faciliter la mise en œuvre de leurs feuilles de route, en se concentrant sur leurs besoins concrets pour passer de l’engagement à l’action. Cette approche permet d’éviter le désengagement souvent observé dans les groupes de travail. L’appui s’organise à trois niveaux :
- Systémique : identification des blocages, recommandations de réformes, échanges d’expériences internationales.
- Entre membres : collaboration et partage d’information.
- Institutionnel : mentorat ciblé et mise en relation avec des partenaires pertinents.
Par exemple, la première initiative de la coalition consiste à fournir aux institutions financières de nouveaux outils de conception de produits, fondés sur l’analyse comportementale. Ces outils sont testés puis seront partagés avec l’ensemble des membres. Des partenariats pourront être encouragés, notamment entre institutions financières et non financières, pour faciliter leur déploiement. Les obstacles réglementaires ou techniques rencontrés lors de la mise en œuvre seront ensuite recensés et intégrés à la feuille de route de la coalition.
4. Concevoir des parcours adaptés à différents profils de femmes
Plutôt que des services isolés, la coalition vise à établir des parcours progressifs d’inclusion financière pour divers segments de femmes. Ces parcours intègrent différentes étapes qui, au fil du temps, renforcent les capacités, l’intérêt et la confiance des femmes. Ils combinent des actions du secteur financier (ex : ouverture de compte, produits d’épargne adaptés, services en agence) et d’autres secteurs (ex : intégrer l’ouverture de compte lors de l’embauche, former les entrepreneures à séparer dépenses professionnelles et personnelles, aider les commerçants à accepter les paiements numériques). En identifiant les étapes nécessaires et en accompagnant les femmes tout au long du parcours, les institutions pourront proposer des solutions plus adaptées et efficaces.
5. Coordonner la coalition et maintenir la dynamique
Le CGAP assurera la coordination de la coalition, au moins pendant la première année. Il suivra les avancées, appuiera les membres et veillera à maintenir la dynamique entre les réunions. Il aidera aussi à identifier les besoins de financement et à chercher les ressources nécessaires. Les partenaires de développement seront associés dès le début, avec des points réguliers et des modes de collaboration clairs.
Des efforts cloisonnés à la mise à l’échelle : vers un changement systémique
La transformation du secteur financier pour répondre aux besoins des femmes ne peut reposer uniquement sur les institutions financières. Elle exige un effort coordonné à différents niveaux du secteur, en synergie avec d’autres secteurs, ainsi qu’un apprentissage et des expérimentations continus, impliquant ainsi une responsabilité partagée.
En fixant des objectifs ambitieux pour toucher davantage de femmes, en réunissant des acteurs divers autour d’une vision commune, la coalition pour l’inclusion financière des femmes au Maroc pourrait devenir une référence pour la réduction des écarts de genre dans la finance. Dans les prochains mois, nous partagerons des retours d’expérience sur cette nouvelle initiative.