Systèmes de paiement instantané : accélérer l'inclusion financière en Afrique francophone

Les systèmes de paiement instantané (SPI) ont fait une avancée fulgurante en Afrique, et pourtant, leur adoption reste encore timide dans plusieurs régions du continent. Portail FinDev et AfricaNenda Foundation ont organisé un webinaire le 6 mars dernier au cours duquel plusieurs experts ont dressé un état des lieux précis des SPI en Afrique de l’Ouest et du Centre. Voici ce qu’il faut en retenir.
Systèmes de Paiement Instantané (SPI) : de quoi parle-t-on exactement ?
Comme l’a résumé Sabine Mensah, directrice adjointe d’AfricaNenda Foundation, un système de paiement instantané permet de transférer de l’argent en temps réel, 24h/24, 7j/7. Mais un système inclusif va plus loin : il permet à tous les acteurs, petits ou grands, de participer au système, avec un accès équitable à la gouvernance, une régulation favorable et des services accessibles aux populations vulnérables.
Une adoption croissante, mais encore inégale
En 2024, le continent africain comptait 28 systèmes nationaux actifs de SPI couvrant environ 20 pays, avec des performances en nette progression : le volume de transactions est passé de 33 à 49 milliards entre 2022 et 2023, représentant plus de 1 000 milliards de dollars échangés, un niveau record à ce jour. Cependant, seuls quelques pays comme le Ghana ont atteint une véritable interopérabilité entre leurs systèmes.
Le rapport SIPS 2024 annonce également le développement en cours de SPI dans 31 pays supplémentaire et salue des progrès notables en matière d’inclusivité dans des pays comme la Tanzanie, le Nigeria, le Zimbabwe et l’Île Maurice, qui sont maintenant au niveau avancé d’inclusivité.
L’Afrique francophone : des tendances qui se dessinent
Selon Jamelino Akogbeto, responsable Afrique de l’Ouest et du Centre chez AfricaNenda Foundation, trois tendances majeures façonnent l’avenir des SPI dans cette région :
- Infrastructures publiques numériques : elles permettent un déploiement plus rapide, moins coûteux, et plus autonome des plateformes.
- Évolution des politiques publiques : de plus en plus d’États investissent dans la connectivité, l’électricité et les infrastructures de base.
- Réforme du cadre réglementaire : un environnement juridique plus souple, adapté à l’innovation, devient une nécessité pour stimuler la croissance des Fintechs et des nouveaux acteurs.
Jamelino Akogbeto a également cité le système MauCas à l’Île Maurice comme exemple inspirant de SPI inclusif adopté par les usagers, avec une gouvernance forte assurée par la Banque centrale, une standardisation technologique, une large gamme de services intégrés et une accessibilité renforcée.
Les défis restent nombreux
Les panélistes ont aussi été clairs sur les freins actuels :
- Faible interopérabilité entre les services
- Coûts d’accès encore élevés
- Manque de fiabilité des connexions réseau
- Difficultés d’usage, notamment lors d’erreurs de transactions
- Des procédures d’ouverture de compte à distance encore complexes à cause de réglementations rigides (KYC)
Waly Diouf Diédhiou, consultant en finance numérique, a mis l’accent sur les problèmes d'infrastructure, de mise à niveau des systèmes et de formation des ressources humaines. L'interconnexion des API et l'alignement sur les normes ISO représentent des défis majeurs qui doivent être relevés pour assurer une adoption plus large.
Les panélistes ont également relevé que le déploiement des services financiers numériques en Afrique repose sur un équilibre fragile entre innovation technologique et exigences réglementaires. Si la sécurité des transactions reste une priorité, les fintechs se heurtent à des obstacles tels que des procédures d'agrément longues et une réglementation parfois incertaine.
Des actions prioritaires pour accélérer l’adoption
Les experts du webinaire ont chacun proposé une mesure phare :
Interopérabilité des systèmes (Sabine Mensah) : faciliter les échanges entre tous les types de comptes. L'interopérabilité entre les différents systèmes de paiement est essentielle pour assurer une inclusion financière efficace. Une question du public a porté sur la conception des SPI pour garantir à la fois l'interopérabilité transfrontalière et la protection des consommateurs, notamment dans les économies informelles. Sabine Mensah a plaidé pour une concertation élargie entre prestataires de services afin de développer un modèle équilibré.
- Intégration des paiements gouvernementaux (G2P) (Jamelino Akogbeto) : renforcer les cas d’usage réels pour les citoyens. Il reste encore beaucoup à faire pour accompagner les pays dans la mise en place de ces systèmes et une synergie avec les banques centrales notamment s’impose.
- Développement de l’identité numérique (Waly Diouf Diédhiou) : clé d’entrée vers les services financiers numériques. Ce dernier a souligné l’importance de l’identité numérique comme levier fondamental pour une inclusion massive, en citant l’exemple du BVN (Bank Verification Number) nigérian, un modèle réussi d’identification digitale favorisant l’inclusion.
L’incontournable question de la cybersécurité a été soulevée, mettant en lumière la nécessité de mesures robustes pour protéger les utilisateurs. Jamelino Akogbeto a expliqué que la gestion de la fraude ne se limite pas à la cybersécurité, mais englobe aussi une approche réglementaire et technologique globale.
En conclusion
Les initiatives en cours, notamment la mise en place du SPI de la BCEAO, ouvrent des perspectives prometteuses. Les SPI sont une formidable opportunité pour transformer l’inclusion financière en Afrique. Mais pour qu’ils atteignent tout leur potentiel, il faut dépasser les barrières techniques, réglementaires et sociales. Une collaboration accrue entre acteurs financiers, régulateurs et fournisseurs de services numériques est essentielle pour relever les défis et garantir une inclusion financière effective et durable en Afrique. Un avenir plus connecté, plus fluide et plus inclusif est possible à condition d’unir les efforts publics, privés et citoyens.
Pour aller plus loin, découvrez le replay de ce webinaire.