Interview FinDev

Au-delà des transferts d'argent : libérer le potentiel de l'assurance liée aux envois de fonds

Matthew Genazzini

Matthew Genazzini cumule 15 ans d'expérience en financement du développement et assurance inclusive. Après avoir travaillé chez ADA sur des projets de microassurance et de renforcement d'institutions financières, il a dirigé le lancement du programme SSNUP pour soutenir les petits exploitants agricoles. Membre du conseil d'administration du Microinsurance Network depuis 2019, il en est devenu le directeur exécutif en 2024. Matthew est diplômé en histoire contemporaine et en études latino-américaines.

Les envois de fonds à destination des pays à revenu faible ou intermédiaire ont atteint 685 milliards de dollars en 2024 dans le monde, un chiffre en augmentation qui témoigne de leur ampleur et de leur impact sur les revenus des ménages. Ces fonds représentent une véritable planche de salut financière pour les pays en voie de développement. Les envois de fonds sont essentiels au développement économique, car ils constituent une source de revenus cruciale qui soutient directement des millions de familles dans les pays en développement, en les aidant à répondre à des besoins aussi essentiels que l'alimentation, les soins de santé et l'éducation.

Portail FinDev : Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les migrants pour assurer la régularité de leurs envois de fonds ?

Matthew Genazzini : Les migrants rencontrent de nombreuses difficultés pour assurer la régularité de leurs envois de fonds, qui sont essentiels pour soutenir leur famille et leur communauté dans leur pays d'origine. 

Défis économiques : 

  • Le chômage : les migrants travaillent souvent dans des secteurs instables ou informels, ce qui les rend vulnérables à la perte d'emploi ou à la baisse de revenus.
  • Le faible niveau des salaires : de nombreux migrants occupent des emplois mal rémunérés, ce qui leur laisse peu de revenus disponibles après avoir couvert leurs propres frais de subsistance.
  • Les fluctuations de change : la volatilité des taux de change peut réduire la valeur des envois de fonds lorsqu'ils sont convertis dans la monnaie locale du destinataire.
  • Les coûts de transaction élevés : les frais d'envoi de fonds d’un niveau parfois prohibitif peuvent fortement réduire le montant net reçu par les familles, en particulier dans le cas des petits transferts. La moyenne mondiale de la commission d'envoi de fonds est d'environ 6,2 %, mais les frais peuvent varier considérablement d'une région à l'autre et d'un prestataire à l'autre.

Risques sociaux : 

  • La discrimination et l'exploitation : les migrants peuvent être victimes de discrimination sur le lieu de travail, mais aussi d'exploitation ou d’autres pratiques de travail abusives, qui peuvent avoir une incidence sur leurs revenus et la stabilité de leur emploi.
  • Le statut juridique : les migrants sans papiers, ou ceux dont le statut juridique est précaire, peuvent être limités dans leur accès à l'emploi formel, aux services bancaires ou à la protection sociale, ce qui rend plus difficile la sécurisation des revenus et l’envoi d’argent régulier.
  • La pression sociale de la famille : les migrants peuvent être soumis à une forte pression de la part de leur famille dans leur pays d'origine, car celle-ci attend souvent cet argent pour couvrir ses dépenses.

Défis structurels : 

  • L'accès limité aux services financiers : les migrants, en particulier ceux qui vivent dans des zones rurales ou mal desservies, peuvent ne pas avoir accès à des canaux d'envoi de fonds abordables et fiables. Cela peut les contraindre à utiliser des méthodes informelles ou risquées pour envoyer de l'argent.
  • Les obstacles réglementaires : des politiques d'immigration strictes, des réglementations bancaires ou des mesures de lutte contre le blanchiment d'argent peuvent empêcher les migrants d'ouvrir des comptes bancaires ou d'utiliser des services formels d'envoi de fonds.
  • Les problèmes de santé ou les accidents : en cas de maladie ou de blessures, les migrants qui ne sont plus en mesure de travailler n’ont plus la même capacité à envoyer des fonds. La pandémie de COVID-19, par exemple, a mis en évidence la façon dont les crises sanitaires pouvaient affecter de manière disproportionnée les travailleurs migrants.
  • Les événements météorologiques : les catastrophes naturelles telles que les ouragans, les inondations ou les sécheresses peuvent à la fois perturber la capacité des migrants à travailler et accroître le besoin de soutien financier de leur famille.
  • L'instabilité politique et les conflits : les guerres, les troubles civils ou les crises politiques dans le pays d'accueil ou dans le pays d'origine peuvent perturber les activités économiques et les flux d’envois de fonds.

Portail FinDev : Quelles solutions peuvent offrir les produits d'assurance aux expéditeurs et aux destinataires de fonds pour améliorer leur résistance aux chocs financiers ?

Matthew Genazzini : Le potentiel qu’offre la combinaison d’autres produits financiers aux services d’envoi de fonds est immense.

Les envois de fonds sont une source de revenus vitale pour des millions de familles dans le monde entier. En les associant à de l’assurance, on peut faire accéder les bénéficiaires à plusieurs types de protection financière, comme une assurance maladie, une couverture en cas de catastrophe naturelle, une assurance récolte et bien plus, autant de services qui leur seraient inaccessibles autrement. Cette intégration (combinaison de services) peut également constituer un filet de sécurité pour les familles qui dépendent des revenus des envois de fonds, en les aidant à gérer les dépenses imprévues et à éviter la détresse financière en cas de crise – et donc favoriser l'inclusion financière.

En outre, lier les envois de fonds à l'assurance permet de s’appuyer sur des transactions financières existantes, ce qui réduit considérablement les coûts.

"Le potentiel qu’offre la combinaison d’autres produits financiers aux services d’envoi de fonds est immense".

Portail FinDev : Pourriez-vous nous donner quelques exemples de solutions d'assurance innovantes combinées aux envois de fonds ?

Matthew Genazzini : Il y a eu beaucoup de projets pilotes. L'un d'entre eux a été lancé par ADA, Democrance et AXA. Il s'agit d'une initiative visant à assurer les migrants de Dubaï qui envoient de l'argent aux Philippines et en Afrique du Sud. Le produit comprenait une assurance contre les accidents, le décès accidentel et l'invalidité permanente. Le projet associait la compagnie d'assurance AXA, des canaux de distribution facilités par deux entreprises (Rise, une société fintech basée aux Émirats arabes unis, et Hello Paisa, un opérateur de transfert d'argent basé en Afrique du Sud) et, entre les deux, la fintech Democrance, qui fournissait une plateforme prête à l'emploi permettant aux compagnies d'assurance de travailler avec de multiples canaux de distribution. Cette initiative a ainsi fourni une plateforme intégrée qui a permis de relier ces différents acteurs. Plus de 13 000 migrants aux Émirats arabes unis ont eu accès à des produits d'assurance grâce à ce projet pilote.

Un autre projet pilote intéressant est le Transfer Protect d'AXA et de Western Union en France. Dans le cadre de ce pilote, les clients qui envoyaient de l'argent par l'intermédiaire de Western Union se voyaient offrir la possibilité de souscrire une assurance vie et invalidité. Cette assurance couvrait le membre de la famille désigné et ses proches dans le pays destinataire (Sénégal, Maroc, Côte d'Ivoire et Madagascar).

Portail FinDev : Quel rôle les différents acteurs du secteur ont-ils à jouer pour promouvoir les solutions d'assurance liées aux envois de fonds des migrants ?

Matthew Genazzini : différents acteurs ont un rôle à jouer dans la promotion de ces solutions d'assurance.

Les gouvernements : ils peuvent instaurer un environnement réglementaire favorable, qui permette de souscrire une assurance relevant de différentes juridictions. Ils peuvent également promouvoir ce service en subventionnant les primes et en encourageant le développement de ce marché.

Les régulateurs : ils peuvent établir des lignes directrices claires pour la distribution de micro-assurance par le biais de canaux d'envoi de fonds, contrôler la conformité pour prévenir les pratiques abusives et garantir la protection des consommateurs, et encourager la collaboration transfrontalière afin d'harmoniser les réglementations applicables à l'assurance liée aux envois de fonds.

Le secteur privé : les assureurs et les prestataires de services d'envoi de fonds peuvent concevoir des produits abordables, accessibles et culturellement adaptés aux migrants et à leurs familles. Cependant, ils doivent adopter une approche à long terme pour laisser aux produits d'assurance le temps de s’établir et d’atteindre une certaine échelle. Par ailleurs, les différents partenaires doivent veiller à l’alignement de leurs objectifs.

Les opérateurs de transferts d'argent : ils peuvent intégrer des produits d'assurance dans leurs plateformes, afin de permettre aux migrants d'acheter facilement une assurance en même temps que leurs envois de fonds.

Les ONG et organisations internationales : elles peuvent mener des actions de sensibilisation et d’éducation et faciliter les partenariats pour étendre la couverture de l'assurance. Elles peuvent servir de lien entre le secteur public et le secteur privé, en encourageant les investissements de part et d'autre.

Les fournisseurs de technologie : ils peuvent assurer la distribution et la gestion numériques des produits d'assurance, en particulier dans les zones mal desservies. C'est essentiel dans ce secteur où la technologie est appelée à prendre de plus en plus d'importance.

Globalement, en tant que secteur, nous devrions faire beaucoup plus pour mettre ce sujet à l’agenda, réunir ces organisations et leur permettre de discuter et de partager leur expérience entre opérateurs. Nous devrions également nous poser la question suivante : au-delà de l'assurance, quels autres services pourraient être fournis par le biais de ces canaux ? Comment pouvons-nous tirer davantage parti des envois de fonds et nous assurer qu'ils sont utilisés de la manière la plus efficace possible ?

 

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