Vers une autonomie financière : Opportunity Bank Uganda au service des réfugiés

Aqrchet Diana Salume est associée principale de programme pour l'inclusion financière des réfugiés chez Opportunity Bank Uganda Limited (OBUL). Diana possède plus de 8 ans d'expérience professionnelle dans la prestation de services financiers inclusifs aux communautés non bancarisées en Ouganda. Depuis 2019, Diana accompagne OBUL dans la conception et la mise en œuvre de services financiers sur mesure pour les communautés de réfugiés en Ouganda.
Portail FinDev : Pourriez-vous présenter brièvement le contexte de l'accueil des réfugiés en Ouganda ? Quand Opportunity Bank Uganda a-t-elle commencé à travailler avec les réfugiés ?
Aqrchet Diana Salume : L'Ouganda accueille actuellement 1,8 million de réfugiés, répartis dans plus de 14 camps, dont 160 000 à Kampala, la capitale. La politique d’accueil pratiquée par le pays permet aux réfugiés de se déplacer librement sur le territoire national, d'accéder à de petites parcelles de terre à cultiver et de gérer de petites entreprises. Comme partout ailleurs, les réfugiés en Ouganda sont confrontés à un certain nombre de défis, notamment pour développer leurs moyens de subsistance et devenir autonomes.
En 2019, Opportunity Bank Uganda (OBUL) a lancé un programme d'inclusion financière en collaboration avec Opportunity International, visant à offrir des services financiers sur mesure aux communautés de réfugiés et d'accueil en Ouganda. Ce programme reposait sur une conception centrée sur l'humain, qui avait fait l’analyse des besoins financiers et des conditions de vie des réfugiés et des communautés d'accueil. Sur la base des résultats, la banque a conçu des services financiers sur mesure – éducation financière, produits d’épargne et produits de prêt aux réfugiés.
Actuellement, Opportunity Bank opère dans trois camps de réfugiés : Nakivale, Rwamwanja et Kyaka II, où elle dispose d'agences physiques. La banque dessert également les réfugiés de Kampala. L'objectif de la banque est d'étendre sa présence à d'autres camps à l'avenir. Depuis 2019, OBUL a dispensé des formations d'éducation financière à 48 500 réfugiés, ouvert 15 500 comptes d'épargne et décaissé 6 200 prêts.
Portail FinDev : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces services financiers adaptés aux réfugiés et aux personnes déplacées de force ?
Aqrchet Diana Salume : Opportunity Bank offre un éventail de services financiers aux réfugiés, notamment :
- De l’éducation financière et de la formation en gestion d’entreprise : ces formations sont dispensées aux réfugiés au sein des associations villageoises d'épargne et de prêt (VSLA) ; des réfugiés sont engagés et formés pour devenir eux-mêmes formateurs et animer des sessions dans les langues locales ;
- Des comptes d’épargne pour les réfugiés : il s'agit de comptes d’épargne sans livret, pour lesquels les réfugiés n'ont pas à payer de frais de gestion mensuels ; les règles KYC sont également allégées, puisqu’il suffit d’avoir un justificatif d’identité en tant que réfugié. Le "compte d'épargne pour réfugiés" a été volontairement désigné ainsi dans le système bancaire central pour le différencier des autres produits que nous offrons, mais aussi pour mettre en avant notre engagement envers ce segment ;
- Des prêts aux groupes de réfugiés et des prêts individuels - assortis de taux d'intérêt compétitifs de 24 %, contre 38 % sur le marché ;
- Des services financiers numériques : services bancaires par l'intermédiaire d'agents, portefeuilles mobiles et services bancaires en ligne spécifiquement destinés aux réfugiés.
Portail FinDev : Avez-vous des exemples d’impact positif des services d’Opportunity Bank Uganda sur le bien-être financier des réfugiés ?
Aqrchet Diana Salume : Oui, je pense par exemple à l'histoire de Martha Mangina, une réfugiée de 37 ans originaire de la République démocratique du Congo, qui est arrivée dans le camp de réfugiés de Rwamwanja en Ouganda en 2012 avec ses quatre enfants. Elle comptait s’employer comme travailleuse agricole pour survivre.
En 2013, Martha a rejoint "Asante" un groupe d'épargne de femmes réfugiées congolaises, qui lui a présenté les services financiers d'Opportunity Bank. Elle a participé à un cours d’éducation financière, dispensé dans sa langue, qui lui a permis d'ouvrir un petit magasin de fruits et légumes en utilisant l’épargne constituée grâce au travail agricole.
En 2024, Martha a obtenu son premier prêt de 820 USD auprès d'OBUL, ce qui l'a aidée à développer son activité. En augmentant son stock à trente sacs de maïs, elle a pu répondre à la demande croissante des écoles locales, ce qui a considérablement amélioré sa situation financière. Martha était très reconnaissante de ce soutien, elle a exprimé sa gratitude avec ces mots : "Je remercie OBUL de m’avoir aidé à faire évoluer ma situation de femme dans le camp de réfugiés de Rwamwanja. Je reviendrai pour le deuxième prêt".
Portail FinDev : Quels sont les principaux défis liés à la prestation de services bancaires aux populations réfugiées, et comment la banque a-t-elle relevé ces défis ?
Aqrchet Diana Salume : L'offre de services bancaires aux populations réfugiées se heurte à plusieurs difficultés :
- L'identification des réfugiés : de nombreux réfugiés n'ont pas de papiers d'identité officiels et, même lorsqu’ils en ont, ceux-ci sont impossibles à vérifier par la banque, car le gouvernement n'a pas mis en place de moyens automatisés pour le faire ;
- La mobilité des réfugiés : les réfugiés se déplacent souvent, pour des raisons de rapatriement, de réinstallation ou de relocalisation volontaire, ce qui affecte l'accès aux services financiers – ces déplacements font qu’il est très difficile pour la banque d’avoir confiance dans la stabilité de la plupart des réfugiés et de suivre l'évolution de leurs activités économiques. Par exemple, en 2023, plus de 200 réfugiés burundais ont été rapatriés après avoir eu accès aux prêts d'OBUL. Suite à ce départ, OBUL a perdu environ 103 prêts ;
- La nécessité de faire changer les mentalités : les réfugiés sont dans un état d'esprit de dépendance ; ce qui importe le plus pour eux c’est de trouver de l’aide pour survivre, et non de créer leur propre entreprise pour subvenir à leurs besoins. La banque doit investir des ressources dans la formation pour leur permettre de changer d'état d'esprit ;
- Les lacunes en matière de gestion d’entreprise : les réfugiés manquent souvent de compétences en matière de tenue de registres, d'enregistrement formel des entreprises, d'obtention de licences et d’activités commerciales en général. Ces lacunes compromettent leur capacité à suivre les flux de trésorerie, ou à établir un credit scoring avec la banque afin d'accéder aux prêts.
Pour surmonter ces difficultés, OBUL a mis en œuvre plusieurs stratégies :
- Des partenariats : les collaborations avec les ONG et les agences de développement permettent d’accroître l’échelle des initiatives et renforcent la confiance dans la capacité de la banque à servir les réfugiés ;
- le recours à des fonds de garantie : ces fonds permettent d'atténuer le risque associé à l'octroi de prêts aux réfugiés. En effet, si les réfugiés ne sont pas en mesure de rembourser les prêts, les fonds de garantie couvrent au moins 60 % de la perte sur les impayés ;
- Des produits de prêt flexibles (d'une durée de 3 à 6 mois) : pour soutenir les entreprises et instaurer la confiance avec les réfugiés. Certains prêts sont d'abord modestes, puis leur montant augmente au fur et à mesure du développement de l'entreprise du client. Par exemple, un client réfugié à Kampala qui a d'abord reçu un prêt de 2 millions de shillings ougandais (environ 545 USD) peut maintenant emprunter jusqu’à 10 millions (soit 2726 USD) ;
- De la formation en gestion d’entreprise et du conseil : pour aider les entreprises de réfugiés à se développer et à devenir finançables. Les consultations ciblées (type business clinics) fournissent des informations d'experts sur des sujets tels que l'enregistrement des entreprises, les licences, les déclarations, etc. et contribuent à préparer les entreprises à la relation avec une banque ;
- De l’éducation financière : pour faire changer d'état d'esprit les réfugiés et les encourager à épargner et à emprunter – en toute connaissance de cause ;
- Et d’autres programmes sociaux, comme la fourniture d'un capital de départ aux groupes de réfugiés, la mise en relation des réfugiés avec d'autres parties prenantes, le marketing des produits de la banque, etc.
Portail FinDev : D'après votre expérience, quels sont les principaux facteurs de réussite lorsqu’on travaille avec des réfugiés et des personnes déplacées de force ?
Aqrchet Diana Salume : Je dirais que les principaux facteurs de réussite sont :
- Comprendre les besoins des réfugiés et concevoir des produits adaptés à ces besoins ;
- Travailler en collaboration avec d'autres parties prenantes, à savoir les bailleurs de fonds et les ONG, qui peuvent aider à subventionner les produits et à soutenir les processus de développement des produits ; le gouvernement, y compris la banque centrale, pour les questions de conformité et de respect des règles ; et les organisations de réfugiés pour la mobilisation locale ;
- Définir des objectifs d’impact social pour les activités de la banque, par exemple des objectifs chiffrés pour le nombre de réfugiés atteints, le nombre de femmes clientes et autres ;
- Travailler avec le personnel local, c'est-à-dire embaucher les réfugiés eux-mêmes pour promouvoir les produits, former les groupes et faire l’intermédiaire avec la banque. Leur implication améliore la communication, crée un climat de confiance et facilite l'appropriation des interventions ;
- Intégrer des services non financiers, tels que l'éducation financière, la formation en gestion d’entreprise, le marketing, les services d'appui aux entreprises, les businessclinics, etc. Ces services préparent les clients potentiels à la relation avec la banque.
Portail FinDev : Quels sont les projets à venir pour Opportunity Bank Uganda ?
Aqrchet Diana Salume : Opportunity Bank Uganda s'est engagée à étendre son intervention auprès des réfugiés – et a ajouté cette mission à son plan stratégique pour les cinq prochaines années. Actuellement, la banque achève la mise en place d'une nouvelle agence dans le camp de réfugiés de Rwamwanja, et a commencé à étudier la mise en place d'une autre agence dans le camp de réfugiés de Kyaka II. La banque a par ailleurs ouvert l'ensemble de son réseau d’agences national aux réfugiés. D'ici à 2030, elle prévoit d'offrir des services bancaires à 200 000 réfugiés dans tout l'Ouganda.
Congratulations Diana for your great work supporting refugees!
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