Interview FinDev

S’adapter en période d’incertitude : co-construire l’avenir de la finance inclusive

Laura Foschi de ADA revient sur l’évolution de la Semaine africaine de la finance inclusive (SAM) et sur les grandes tendances du secteur
Portrait de Laura Foschi

Laura Foschi est directrice exécutive de ADA, une ONG spécialisée dans la finance inclusive basée au Luxembourg, qui organise la SAM : Semaine africaine de la microfinance, désormais Semaine africaine de la finance inclusive. Laura possède 25 ans d’expérience dans la finance inclusive et durable, la finance à impact, le développement durable et l’économie verte. Elle siège au conseil d’administration de la Social Performance Task Force (SPTF) - Europe, ainsi qu’aux conseils du Financial Innovation Tool (FIT) SIS et de l’Impact Investing Advisory Board (IIAB) de la Luxembourg Sustainable Finance Initiative (LSFI).

Portail FinDev : La SAM a changé de nom ! Elle s’appelle désormais SAM : Semaine africaine de la finance inclusive. Que pouvez-vous nous dire sur ce nouveau nom et sur l’évolution de cette conférence devenue un rendez-vous incontournable pour la communauté de l’inclusion financière en Afrique ? 

Laura Foschi: Je pense que la clé du succès de la SAM, c’est d’avoir évolué en même temps que le secteur. Il y a environ quatre ans, ADA a opéré un tournant important en élargissant son approche, au-delà de l’appui aux institutions de microfinance. Nous avons compris que, pour avoir un impact plus fort sur les populations vulnérables des pays en développement, il fallait collaborer avec un éventail plus large d’acteurs dans le domaine: incubateurs, accélérateurs, fintechs, agritechs, innovateurs en général. Tous ces acteurs contribuent beaucoup à notre travail auprès des clients en apportant de nouvelles solutions. 

Le nouveau nom de la conférence est donc une évolution naturelle, qui reflète notre adaptation au secteur que nous servons. À chaque édition, nous faisons un effort conscient pour rester à l’écoute, observer les dynamiques en cours, identifier les nouveaux acteurs et contributeurs, et réfléchir à l'évolution du secteur. Cette ouverture au changement est ce qui rend l’événement pertinent et porteur d’impact. 

Un autre facteur de succès est que la SAM n’est pas seulement une conférence ou un événement classique. C’est un véritable espace de réflexion, d’échange et de construction collective de l’avenir de l’inclusion financière. Cet événement et les organisations qui y participent me rendent très enthousiaste. Pour moi, c’est un véritable rassemblement du secteur : une semaine entière où les participants se retrouvent plein d'énergie positive, avec l’envie de discuter, de partager leurs expériences. C’est un temps fort, et c’est un vrai privilège d’y prendre part, non seulement en tant qu’organisateurs, mais en tant que membres de cette communauté. 

Portail FinDev : Cette édition de la SAM intervient à un moment charnière pour les acteurs du développement. Comment décririez-vous l’état actuel de l’inclusion financière

Laura Foschi: Nous vivons une période d’incertitude, marquée par des bouleversements rapides – politiques, sociaux, environnementaux. Lorsqu’on observe l’état de l’aide au développement et de la coopération internationale aujourd’hui, on peut trouver la situation décourageante. Les coupes budgétaires inattendues dans l’aide au développement, décidées cette année par la nouvelle administration américaine et d’autres bailleurs européens, ont un réel impact sur notre secteur et sur les pays où nous intervenons. Mais pour nous, chez ADA, le principal danger ne réside pas dans les coupes budgétaires ; le risque majeur, ce serait de suivre cette tendance et de céder à la résignation. Au contraire, notre réponse est de maintenir notre engagement et de continuer à soutenir à la fois la coopération luxembourgeoise et les populations vulnérables que nous servons. 

 Le principal danger ne réside pas dans les coupes budgétaires; le risque majeur, ce serait de suivre cette tendance et de céder à la résignation. Au contraire, notre réponse est de maintenir notre engagement et de continuer à soutenir à la fois la coopération luxembourgeoise et les populations vulnérables que nous servons. 

Portail FinDev: Quels types de collaborations ou de partenariats seront essentiels pour bâtir des systèmes financiers plus durables et inclusifs ? 

Laura Foschi: Face à la baisse des ressources publiques, il devient crucial de s’intéresser davantage au secteur privé, d'envisager de collaborer avec des acteurs capables de contribuer au développement durable en complément des financements publics. Les acteurs privés, notamment en Europe, sont de plus en plus sensibles à ces enjeux. Beaucoup sont déjà engagés dans des investissements ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et cherchent désormais à accroître l’impact de leurs financements. Alors que l’inclusion financière était traditionnellement perçue comme un secteur de niche, peu attractif pour les investisseurs classiques, cette perception est en train de changer. 

Au cours des prochaines années, je pense qu’il sera crucial d’impliquer ces parties prenantes. Nous avons commencé à collaborer avec le secteur privé il y a plus de 15 ans, avec la création d’un fonds, et il y a deux ans, nous avons lancé un outil innovant destiné à attirer les investisseurs privés. À l’avenir, nous souhaitons aller encore plus loin, en particulier en sensibilisant davantage le secteur financier luxembourgeois. Notre rôle est de démontrer que l’inclusion financière peut constituer un levier concret et puissant de la finance durable, avec un véritable potentiel de transformation à long terme. 

Portail FinDev: Quelles sont, selon vous, les tendances émergentes qui dessineront l’avenir de notre secteur dans les cinq prochaines années ? 

Laura Foschi: Les prestataires de services financiers doivent s’adapter. Aux évolutions climatiques, bien sûr, mais aussi aux crises économiques et sociales que traversent de nombreux pays. Pour cette adaptation, il devient plus que jamais essentiel de mettre l’accent sur les besoins des clients. Pour survivre et rester pertinents, les prestataires doivent placer les besoins des clients au cœur de leur stratégie, et proposer des services à la fois adaptés et abordables. 

Par exemple, dans des régions comme le Sahel, les effets du changement climatique, l’instabilité politique et les déplacements de population bouleversent profondément la vie des clients. Dans de tels contextes, les besoins évoluent en permanence, et cela implique de faire évoluer aussi la manière de proposer les services. 

Une autre tendance tout aussi importante est celle de la résilience institutionnelle : les prestataires de services financiers doivent être aussi résilients que les clients qu’ils servent. Cela suppose de faire preuve de flexibilité, d’adopter de nouvelles technologies, et de trouver le bon équilibre entre outils numériques et interactions humaines. L’intelligence artificielle en est un parfait exemple : elle offre un potentiel considérable, mais elle doit être comprise, régulée et adaptée pour devenir un véritable levier d’inclusion – et non un facteur de marginalisation ou d’exclusion supplémentaire pour les populations vulnérables. 

Le véritable défi consiste à veiller à ce que ces solutions soient non seulement innovantes, mais aussi réellement pertinentes et compréhensibles pour les bénéficiaires finaux. Il est essentiel d’en mesurer les effets de manière rigoureuse, afin de garantir qu’elles ont un impact positif sur la vie des personnes. 

Au cœur de tout cela, ce qui demeure fondamental, c’est de partir des besoins des clients. Trop souvent, nous commençons par concevoir une solution, que nous cherchons ensuite à adapter aux clients. Or, la démarche devrait être inverse. Il faut d’abord écouter – pour véritablement comprendre les réalités changeantes que vivent les gens. Ce n’est qu’à partir de là que nous pouvons co-construire des solutions pertinentes et véritablement porteuses d’impact.

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