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Taux d’intérêt en microfinance

Pourquoi les IMF pratiquent-elles des taux d’intérêt aussi élevés ?
Dans une note du CGAP intitulée Explication raisonnée des taux d’intérêt utilisés pour le microcrédit, il est dit que « Les taux d’intérêt du microcrédit sont établis de façon à permettre l’offre de services financiers durables, à long terme et à grande échelle. Les IMF se doivent d’utiliser des taux d’intérêt leur permettant de couvrir leurs coûts administratifs, le coût du capital, y compris le coût de l’inflation, les pertes sur créances et une augmentation de leurs fonds propres. Les IMF qui ne respectent pas cette règle ne peuvent fonctionner que pendant un certain temps, ne servent qu’une clientèle restreinte et privilégient la plupart du temps les objectifs fixés par un bailleur de fonds ou par un gouvernement, plutôt que les besoins de leurs clients. Seules les IMF viables sont en mesure de fournir un accès permanent aux services financiers aux centaines de millions de personnes qui en ont besoin».
 
Le présent Coup de Projecteur expose quelques-uns des points essentiels à considérer au sujet des taux d’intérêt en vigueur dans le domaine du microcrédit : sa composition, les leviers envisageables pour offrir un taux raisonnable, son plafonnement et sa transparence.
 
Comment se construit un taux d’intérêt ?
Une note de SOS Faim « Pour des taux d’intérêt justes et transparents en microfinance » a entrepris de décomposer les produits d’intérêt des IMF en étudiant le niveau de ses quatre principaux composants : les coûts opérationnels, les coûts liés aux pertes sur crédits, les marges prises sur l’opération et les coûts liés au fait de disposer des fonds prêtés. 
Revenons sur chacun d’eux :
  • Les coûts opérationnels
Ce sont les frais de fonctionnement et de personnel de l’IMF. Les IMF effectuent toutes leurs transactions en argent liquide et doivent souvent se déplacer pour collecter l’argent, ce qui occasionne des coûts opérationnels élevés (personnel, véhicules, agences, etc.). Ce sont des coûts que les banques traditionnelles n’ont pas à supporter. Ces frais se situent le plus souvent dans une fourchette de 10 à 25%. C’est le facteur de coût qui pèse en moyenne le plus lourd dans la fixation du taux : 62% (Source Micro Finance Hub – « 10 determinants of interest rates in microfinance »).
  • Les coûts liés aux pertes sur crédits
Ces coûts sont relativement maîtrisables par l’IMF, excepté en cas de dégradation généralisée du contexte. Malgré les faibles sommes prêtées, les IMF doivent assurer la pérennité de leurs activités.  Le taux de défaut en microfinance doit osciller entre 1% et 2% dans le cas d’une entité financière performante.
  • Les marges prises sur l’opération
Il s’agit ici de la prise de bénéfice et représente un choix politique de l’IMF. Il est, en effet, intéressant de voir où vont les marges, surtout dans le contexte de développement dans lequel la microfinance prétend s’inscrire. Il ne s’agit pas de condamner toute démarche de génération de bénéfices. Ceux-ci permettent en outre de capitaliser l’institution et d’investir dans de nouvelles démarches comme une extension de la couverture géographique ou encore la diversification de l’offre de produits et services.
  • Les coûts liés au fait de disposer des fonds prêtés
On parle ici d’épargne, de refinancements nationaux ou internationaux, des coûts maîtrisables dans une certaine mesure. En ce qui concerne le recours à l’épargne, il n’est pas possible dans tous les cas de figure et dépend essentiellement de la règlementation et du statut de l’IMF. Pour le recours à des refinancements nationaux/internationaux, le taux auquel les IMF empruntent est supérieur aux taux auxquels ont droit les banques classiques et avoisinent souvent les 10%.
 
Selon Micro Finance Hub, le coût des fonds prêtés intervient pour 23% dans le taux d’intérêt demandé.
 
Enfin, la prise en compte de l’inflation échappe généralement à l’IMF. Elle doit néanmoins l’anticiper car elle atteint régulièrement 5% à 10% dans les pays en développement.
 
Comment offrir un taux d’intérêt raisonnable ?
Plusieurs leviers sont néanmoins envisageables afin que l’IMF propose à ses clients un taux d’intérêt raisonnable.
  • Limiter les frais opérationnels
Les frais opérationnels représentent la charge financière la plus lourde pour l’IMF et celle qui impacte le plus la définition du taux d’intérêt. Plusieurs solutions sont recommandées à l’IMF afin de limiter au maximum ces frais : i/ le renforcement de capacité continu et la professionnalisation des équipes opérationnelles et de la direction, ii/ une méthodologie clairement définie, transparente et compréhensive pour le client, iii/ un contrôle budgétaire stricte et constant et iii/ un système d’information et de gestion efficace permettant de corriger rapidement une situation. 
 
En marge de limiter des frais opérationnels, il s’agit pour l’IMF de bien maîtriser ses charges d’exploitation par une organisation efficiente. 
  • Avoir une bonne qualité de portefeuille à risque (PAR)
L’IMF doit être scrupuleuse sur le calcul, l’analyse et la gestion de son PAR afin d’évaluer la qualité de son principal actif : les prêts. Le PAR à 30 jours (ou PAR30)ne doit pas excéder 3% de manière générale. Afin d’atteindre cet objectif, l’institution doit suivre quotidiennement les remboursements des échéances, avoir un système d’alerte efficace auprès des clients en retard et mettre l’accent sur le recouvrement en limitant les octrois quand la situation s’y prête.
  • Réduit le coût des ressources
Il s’agit de privilégier les dépôts, une ressource moins onéreuse. A ce titre, les mutuelles et les coopératives, de par leur fonctionnement, ont recourt aux dépôts de leurs membres. L’épargne (sa collecte et sa rémunération) revêt un caractère hautement stratégique pour une institution, notamment pour les raisons suivantes : i/ elle permet de diversifier et de réduire le coût moyen des ressources, ii/ elle renforce l’autonomie des ressources, iii/ elle limite le recours au financement bancaire (souvent plus cher), iv/ elle fidélise la clientèle et enfin v/ elle sécurise le crédit.
 
Faut-il plafonner les taux ?
Les débats sur les taux d’intérêt ont vu émerger des discussions croissantes dans plusieurs pays sur le plafonnement réglementaire des taux. En dépit des bonnes intentions que cela recouvre, plafonner les taux ne sert pas forcement les clients bénéficiaires et peut être contre-productif pour l’IMF. Les principales raisons sont évoquées ci-après :
  • Exclusion des clients les plus pauvres
Déjà l’obligation de pratiquer de faibles taux risque de conduire les IMF à se concentrer sur les clients moins nombreux et plus profitables. Par conséquent, les institutions vont augmenter le montant moyen de leur crédit pour diminuer leurs coûts et ainsi exclure les plus démunis.
  • Limitation de la création d’IMF
La fixation de plafonds de taux d’intérêt est généralement préjudiciable aux pauvres : elle rend la création d’IMF plus difficile et pose problème aux IMF existantes. Comme l’explique une note du CGAP sur le plafonnement des taux d’intérêt, « nombre d’IMF se retirent du marché, se développent lentement et/ou réduisent l’envergure de leurs activités dans les zones rurales et sur les autres segments du marché où il leur est plus coûteux d’opérer parce qu’elles ne peuvent pas recouvrer leurs charges d’exploitation. Le plafonnement des taux d’intérêt décourage, de même, les banques commerciales à étendre la portée de leurs activités vers les marchés ruraux ou vers du microcrédit qui sont plus onéreux. »
 
Les pauvres n’ont plus ou plus difficilement accès aux services financiers formels et retournent vers les marchés informels des usuriers.
  • Encourager les crédits plus élevés et à plus court terme
Un document de la Banque Asiatique de Développement recense une contrainte supplémentaire au plafond des taux : il encourage non seulement des crédits plus élevés mais aussi à plus court terme car l’inflation rend les crédits à plus long terme plus risqués dans ce contexte.
 
De manière générale, la régulation des taux devrait considérer les divers profils d’IMF sur le marché. Toutes les institutions ne supportent pas les mêmes coûts opérationnels et n’encourt pas les mêmes risques. A ce titre, il semble important de i/ dissocier les services financiers offerts en zone urbaine de ceux en zones rurales, ii/ bien distinguer les profils des emprunteurs - un client salarié n’a pas le même profil de risque qu’un petit producteur rural, et enfin iii/ prendre en compte la méthodologie de crédit utilisée, notamment la garantie demandée qui modifie le risque pris.
 
Enfin, la limitation des taux doit intervenir, sinon pour alléger les coûts du client, pour éviter l’usure. 
 
La nécessité de taux transparents
La nécessité d’un taux d’intérêt acceptable et transparent a été renforcée par l’arrivée au premier plan du thème de la protection des clients en microfinance.
 
Protéger le client n’est pas synonyme de limitation des taux. La Smart Campaign a édité les principes de protection des clients. Parmi ses principes, on note la transparence des prix et conditions et la tarification responsable, obligeant les institutions à offrir des services de qualité, compétitifs sur le marché bénéfiques aux clients. Un marché de microfinance transparent avec des clients éduqués financièrement représente le plus sûr moyen de baisser les taux.
 
L’ensemble des praticiens de la microfinance s’accorde à dire que la transparence demeure actuellement insuffisante et qu’il faut l’améliorer. On observe deux principaux écueils:
  • Manque de connaissance financière
Un grand nombre de bénéficiaires du microcrédit n’a aucune connaissance financière de base, ce qui permet à certaines IMF de ne pas être entièrement transparente avec ses clients sur les questions de commissions, de taux « flat », de frais de dossier qui leur sont chargés.  
 
En dépit des efforts entrepris par les organes de régulations et les IMF, les mécanismes d’éducation financière mis en œuvre à destination des clients restent insuffisants. L’importance de l’éducation financière revient régulièrement dans les discussions et devient une priorité d’une majorité d’acteurs impliqués dans l’appui au secteur. Le programme de microfinance UE-ACP en a, à ce titre, fait un de ses axes prioritaires.
  • Formation insuffisante des agents de crédit
Actuellement, peu d’IMF s’assurent que ses clients ont accès à l’ensemble des informations (prix et conditions d’accès aux produits), dans un langage clair et à leur portée. De fait, le personnel de l’IMF, comme les agents de crédit en lien direct et continu avec les clients, est souvent insuffisamment formé pour informer efficacement les clients. L’IMF doit entreprendre et garantir un renforcement des capacités continu de son personnel afin que les clients comprennent les produits, les termes du contrat, ses droits et ses obligations.
 
La transparence des taux est de plus en plus vue comme une condition, au moins dans les marchés compétitifs. Combinée à des mesures de protection et d’éducation financière des clients, elle devrait aboutir à une réelle mise en concurrence qui induirait une diminution des taux proposés aux emprunteurs. 
 
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