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La technologie risque-t-elle d'être un facteur d’exclusion plutôt que d’inclusion financière ?

Quelles responsabilités pour les institutions de microfinance et les acteurs technologiques ?
Béatrice et son téléphone. Photo de Mwangi Kirubi. Concours photos du CGAP 2015.

La croissance rapide de sociétés de crédit à la consommation se basant uniquement sur les algorithmes propriétaires et l’exploitation de données non-traditionnelles (média sociaux, accès au répertoire ou aux applications régulièrement utilisées sur le smartphone du client) a montré les limites d’un modèle purement technologique. En 2016, le rachat du réseau Opportunity International, en difficulté financière, par le sud-africain MyBucks, résultat de la fusion de plusieurs sociétés de crédit à la consommation, fit débat. Au Kenya, toujours en 2016, 400,000 personnes ont été blacklistées par la centrale des risques Transunion pour des impayés inférieurs à 2 USD, alors que beaucoup d’emprunteurs n’avaient pas réalisé qu’ils souscrivaient un crédit via leur téléphone mobile.

La technologie est-elle donc davantage un facteur d’exclusion que d’inclusion financière?

Au cours des cinq dernières années, on a pu observer une certaine convergence entre technologie et microfinance. Au Pakistan, l’opérateur téléphonique norvégien Telenor a par exemple racheté l’institution financière Tameer Microfinance Bank, permettant de renforcer les synergies avec Easypaisa, la filiale de paiement mobile de Telenor, et d’acquérir une licence bancaire. Cette fusion ne semble pas avoir eu un impact négatif sur les clients finaux.

Nous pensons qu’il est possible de réconcilier les deux approches en utilisant la technologie pour réduire les coûts liés à l’analyse crédit et au suivi du prêt, et ainsi permettre d’étendre la couverture des institutions de microfinance à des zones géographiques plus vastes ou à des types de clients nouveaux, ce qui in fine permet de contribuer à l’inclusion financière.

OpenCBS et PAMIGA ont piloté plusieurs projets d’aide à la numérisation d’institutions de microfinance. Ils ont pu en tirer certaines leçons et facteurs de succès qui permettent aux institutions de microfinance, grâce au déploiement de solutions technologiques, de réduire leur coûts opérationnels et d’augmenter la portée de leurs réseaux.

Il nous semble clef de maintenir un certain niveau d’interaction humaine. Lors de sa visite sur le terrain, que ce soit pour une ouverture de compte ou une analyse préalable à l’octroi de crédit, le chargé de crédit obtient des informations que la technologie à elle seule ne peut obtenir. La valeur ajoutée des solutions technologiques se situe avant tout dans l’automatisation des processus, par exemple :

  • Au niveau de l’identification du client, l’identification biométrique et la prise de photos des documents ou du client avec une tablette peut diminuer le risque de fraude. Dans certains pays comme l’Inde, l’identification du client peut être confirmée immédiatement et de manière sécurisée grâce au système de fichier d’identité national Aadhaar ;
  • Au niveau de l’analyse crédit, notamment pour le crédit agricole : OpenCBS a développé pour son client Agora Microfinance Zambia un système d’analyse crédit sur tablette qui permet de simplifier l’analyse en comparant immédiatement les données saisies aux normes de productivité dans la région, grâce à des cartes de scoring agricoles. La décision d’octroi peut être prise sur site et le crédit validé à distance par un superviseur présent à l’agence ou au siège ;
  • Au niveau du suivi des crédits et de la capture d’informations sur la performance sociale, l’utilisation de tablettes peut améliorer la productivité du personnel de terrain et la fiabilité des informations saisies. Au Sénégal, PAMIGA a piloté la mise en place d’une solution tablette qui a permis d’augmenter la productivité et de réduire l’usage du papier au sein de l’institution de microfinance Caurie MF ;
  • Au niveau de l’enregistrement des transactions, l’utilisation de terminaux de paiement permet de gagner du temps, d’éviter les doubles saisies et de fiabiliser la qualité des données. PAMIGA a ainsi aidé l’institution de microfinance Busaa Gonofaa à numériser les livrets d’épargne, ce qui a permis de réduire les erreurs de saisie, d’améliorer le système de reporting et surtout d’augmenter le taux d’épargne des clients de Busaa Gonofaa ;
  • Enfin, au niveau de la gestion des impayés, il est possible d’automatiser les messages de rappel des échéances dues et de structurer par un système de gestion des tâches, une intervention graduée du personnel de l’institution de microfinance.

Nous pensons que la visite terrain, assistée et rendue moins chère par la technologie, reste le meilleur moyen de maintenir le contact avec le client et d’éviter les situations de surendettement.

Afin de faire baisser les coûts de ces solutions technologiques, il existe deux pistes à explorer. La première consiste à privilégier les solutions Open Source qui n’emprisonnent pas l’institution de microfinance. Les fournisseurs de solutions technologiques, trop souvent, piègent les institutions de microfinance avec des frais de licence annuelle élevés, ou des développements additionnels à coûts exorbitants. Il est important de prendre en compte tous ces coûts avant de faire un choix final, notamment en calculant le coût de la solution à un horizon relativement lointain, par exemple cinq ans. Des éditeurs comme MIFOS ou OpenCBS peuvent proposer des solutions ouvertes, permettant au client de continuer le développement par lui-même s’il en a les capacités, sans payer de licence annuelle.

Les frais de numérisation pouvant s’avérer néanmoins élevés, la seconde piste consiste à se regrouper. Les institutions de microfinance ont tout intérêt à s’unir afin de négocier des rabais et de faire baisser leur coût d’investissement dans ces solutions. Les associations nationales de microfinance ont un rôle à jouer afin d’aider les institutions de microfinance membres à définir un cahier des charges au plus grand dénominateur commun, ce qui donne plus de poids aux acheteurs lors des négociations au cours d’un appel d’offre. Les bailleurs auraient également tout intérêt à intervenir pour encourager ces pratiques.

La technologie doit rester un outil, même si les Fintech ont une contribution à apporter à l’industrie de la microfinance.


Le Portail Microfinance est partenaire média de la Semaine Européenne de la Microfinance (SEM) qui se déroule du 29 novembre au 1er décembre au Luxembourg. Dans le cadre de la SEM, Jacinta Maiyo, Directrice Conseil en Technologies de l'Information chez Pamiga, et Alexis Lebel, Directeur général d'OpenCBS, animent le Groupe d'Action "Innovations numériques pour l'autonomisation financière" le 29 novembre de 14h à 17h. Ils interviendront par ailleurs le 1er décembre de 11h à 12h30 à une session intitulée "Low cost technology solutions for increasing outreach". 

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