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Ahmed Ghazali : «Nous anticipons un réel effondrement des indicateurs d’activité»

ALM : Il va sans dire que la crise sanitaire qui sévit au Maroc frappe de plein fouet tous les secteurs d’activité. Comment se répercute-t-elle sur votre secteur d’activité ?

Ahmed Ghazali : Il faut d’abord savoir que la philosophie qui sous-tend les activités de microfinance est de contribuer à l’inclusion financière et sociale des populations économiquement fragiles. Celles qui ne peuvent accéder à l’offre de crédit bancaire classique du fait même de cette fragilité. Nous travaillons dans la proximité et l’écoute au quotidien des personnes qui ont recours à nos services, pour assurer et développer leurs activités génératrices de revenus en leur procurant des services financiers et non financiers. C’est dire que leur fragilité est la nôtre, avec des répercussions immédiates sur le niveau et la qualité de notre activité. Les Institutions de microfinance (IMF) elles-mêmes sont touchées par le Covid-19. Elles sont pleinement mobilisées pour assurer une continuité d’activité durant cette période exceptionnelle et pour protéger sanitairement leurs personnels et leurs clientèles des effets du Covid-19. L’arrêt des activités génératrices de revenu suite au confinement se traduit par l’arrêt de la production, en raison de l’absence de demandes et du risque élevé lié à la crise sanitaire. Aujourd’hui, il n’y a plus ni mouvements, ni déblocages ni remboursements. On accumule donc des pertes importantes pendant ce confinement qui affectent lourdement les fonds propres des différentes institutions de microfinance.

La situation actuelle fragilisera-t-elle davantage le secteur de la microfinance ? Et quel en serait l’impact une fois la crise terminée ?

Assurément ! Nos clients n’ont pas de filet social et sont dans une précarité économique et sociale qui ne peut que s’aggraver sous l’effet de la pandémie. Ce qui veut dire pour cette catégorie de la population, arrêt total et trop longtemps, de l’activité et donc de source de revenu recherché au quotidien par des activités précaires. Pour ce qui est du secteur, et de son avenir, il faut dire qu’un secteur compromis dans sa solvabilité peut difficilement jouer son rôle stabilisateur social et financier des exclus du système classique. N’oublions pas qu’un million de ménages crée des heures de travail du fait du financement par la microfinance. Ils préservent leur activité et procurent indirectement du travail à 15 ou 20 % d’autres familles. En raisonnant avec un ratio de 4 pour 1 famille, il s’agit de 4 à 5 millions de citoyens liés à la pérennité de cette activité. On ne mesure pas suffisamment le rôle de stabilisateur qu’assume discrètement la microfinance depuis plus de vingt ans. On n’est peut-être pas suffisamment conscient de l’importance qu’elle a acquise pour l’équilibre global de notre société. Malgré les efforts conséquents et intenses des équipes pour maintenir un lien avec nos clients, nous ressentons déjà et anticipons un réel effondrement des indicateurs d’activité tout au long de cette crise dont personne ne connaît la durée. La question n’est pas uniquement de savoir si le secteur de la microfinance va se relever de cette crise mais aussi et surtout si le million de micro-entrepreneurs qu’il finance et qu’il accompagne, en microcrédits, en micro-assurance, en opération d’intermédiation bancaire (OIB) et en formation pourront se relever sans son concours.