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Des systèmes fiscaux pensés pour réduire les inégalités peuvent-ils augmenter la pauvreté ?

Financer les politiques sociales par les impôts peut parfois générer de la pauvreté. Nora Lustig, économiste argentine, revient sur ce paradoxe fiscal de la lutte contre les inégalités.

Donner accès à des services d’éducation et de santé gratuits est l’un des outils fondamentaux des gouvernements pour combattre les inégalités, particulièrement les inégalités des chances. Mais dans les pays à faibles revenus, financer les dépenses d’éducation et de santé grâce aux impôts peut aggraver la situation des plus pauvres en diminuant leur pouvoir d’achat sur la nourriture et les biens de première nécessité. Si la majorité de la population est pauvre, il est difficile de la taxer, même si le but ultime est de l’aider. En combattant les inégalités par le biais d’investissements dans l’éducation, les infrastructures et la santé, les gouvernements peuvent nuire aux pauvres à court terme. C’est à cet effet paradoxal des politiques de lutte contre les inégalitaires que s’intéresse l’économiste argentine Nora Lustig.

Vos recherches montrent que, dans les pays en développement, les politiques fiscales peuvent accroître la pauvreté au lieu de la réduire. Comment est-ce possible ?

Au Commitment to Equity Institute, nous avons analysé l’impact des transferts sociaux (aides sociales, aides à l’accès à la nourriture et aux ressources énergétiques, dépenses publiques pour l’éducation et la santé) et des impôts (sur les revenus et TVA) sur les inégalités de revenus et sur la pauvreté. L’étude s’intéresse à plus de trente pays à faibles et moyens revenus sur tous les continents, du Brésil au Guatemala, de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud, de l’Indonésie au Sri Lanka et de la Russie à la Géorgie.

Pour analyser l’impact des politiques fiscales sur la répartition des richesses, il est utile de distinguer la partie en liquidités du système et la partie en nature. Cette partie en liquidités inclut les impôts et les aides, directs et indirects. La partie en nature comprend la valeur monétisée de l’éducation et de la santé publiques. Les résultats de nos recherches montrent que les politiques fiscales réduisent toujours les inégalités. Cependant, en calculant les niveaux de revenus en bas de l’échelle sociale avant et après les impositions et les aides, nous avons remarqué que les pauvres peuvent devenir plus pauvres à cause de ces mêmes politiques.

En Éthiopie, au Ghana, au Guatemala, au Nicaragua, en Tanzanie et en Ouganda, par exemple, le nombre de pauvres est plus élevé après imposition directe et indirecte, nette d’aides. Dans ces six pays, les politiques fiscales augmentent la pauvreté : le système aide moins de pauvres à sortir de la pauvreté qu’il n’en enfonce dans la pauvreté. Si on met de côté les efforts gouvernementaux dans les secteurs de la santé et de l’éducation, les plus pauvres auraient de meilleurs revenus sans impôts et sans aides. En d’autres termes, surtout dans les pays à faibles revenus, les pauvres sont souvent des contributeurs nets au système : ils payent plus en taxes qu’ils ne reçoivent d’aides. C’est l’un des principaux résultats de notre recherche. Nous appelons cela la paupérisation fiscale.