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L'inclusion financière et la marginalisation sociale

Le forgeron, Egypte. Photo de Asan Amin. Concours photos du CGAP 2012.

Les révolutions du printemps arabe ont été au cœur d’un changement majeur dans les paradigmes de développement. En effet, la croissance et le respect des grands équilibres macroéconomiques étaient depuis l’avènement du consensus de Washington l’alpha et l’oméga du développement. Or, les pays arabes qui avaient respecté ces critères et qui étaient devenus des élèves modèles des institutions internationales, comme la Tunisie, l’Egypte ou la Syrie, ont été au centre d’une grande instabilité sociale qui les a emportés et a ouvert une ère de changement révolutionnaire dans un grand nombre de pays. Cette instabilité ne s’est pas limitée aux pays arabes mais elle a touché un grand nombre d’autres pays en Europe et jusqu’aux Etats-Unis et a été à l’origine de l’émergence de larges mouvements sociaux qui ont dénoncé les effets négatifs des politiques d’austérité.

Cette instabilité croissante a été au cœur d’un changement majeur de paradigme. Désormais, la stabilité macroéconomique aussi importante soit-elle, n’est plus le seul élément à prendre en considération dans les débats sur le développement. La préoccupation de la fin de la marginalité politique et sociale ainsi que la durabilité du développement sont devenues des éléments essentiels dans le débat sur le développement. La problématique de l’inclusion va émerger comme le nouveau cadre de réflexion sur les priorités du développement et les politiques de développement vont chercher à mettre fin à la marginalité et à favoriser une plus grande intégration des jeunes et des régions oubliées par le passé. 

L’avènement de la problématique de l’inclusion a été au cœur d’une effervescence intellectuelle et d’importants débats pour préciser les contours de cette question, les critères pour la mesurer ainsi que les politiques à mettre en place pour la favoriser. Dans ce débat, la problématique de l’inclusion financière est apparue assez vite comme un élément essentiel et comme un facteur majeur capable de favoriser l’intégration des populations dans le processus de développement. Particulièrement, l’intégration financière va chercher à comprendre et à évaluer les conditions d’accès des populations les plus vulnérables et des petites et moyennes entreprises au financement et à une gamme de services financiers pour effectuer leurs investissements.
Or, en dépit du caractère central de la problématique de l’inclusion dans nos priorités de développement et de l’importance de l’inclusion financière, nous disposons de peu d’informations sur cette question dans notre pays. Les rares informations dont nous disposons dans les études de la Banque mondiale et d’autres institutions sont assez significatives du retard et des défis qui se dressent devant notre pays en matière de financement. Ainsi, par exemple dans une enquête de la Banque mondiale, 64,7% des PME considèrent que l’accès aux sources de financement comme un obstacle majeur alors qu’elles ne sont que 31,6% au Maroc et 28% en Egypte. Par ailleurs, seulement 9,6% des investissements dans notre pays sont financés par des crédits bancaires alors que cette part s’élève à 12,2% au Maroc. La place du capital risque laisse également à désirer dans le financement des entreprises dans la mesure où elle se limite à 2,6% en Tunisie contre 5,7% au Maroc. Il faut aussi mentionner l’importance des collatéraux exigés par les banques et qui s’élèvent à 169,2% des prêts en Tunisie alors qu’au Maroc, même s’ils sont élevés, se situent à 109,4%. 

Ces éléments sont assez significatifs des difficultés du financement dans notre pays. Mais, en dépit de ces difficultés, nous ne disposions pas d’une étude globale sur l’inclusion financière en Tunisie. Désormais, cette lacune est levée avec la publication par l’Institut arabe des chefs d’entreprises du premier rapport sur l’inclusion financière en Tunisie. Il s’agit d’un important rapport qui a couvert un échantillon assez large, composé de 600 particuliers, de 400 PME avec une grande représentativité sectorielle. La méthodologie de cette étude est également assez rigoureuse et le calcul d’un indice composite d’inclusion financière est basé sur la pénétration bancaire, l’usage des services bancaires et la disponibilité des services financiers.
Nous sommes en présence d’un rapport riche en informations. Mais, de l’ensemble de ces éléments, nous avons retenus trois aspects essentiels qui sont largement significatifs de la question de l’inclusion financière dans notre pays. Le premier aspect est celui de la faiblesse de l’inclusion financière dans notre pays et le rapport mentionne une moyenne nationale de 0,284. Cette faiblesse trouve son explication essentiellement dans la faible disponibilité des services financiers. 

Le second élément essentiel avancé par ce rapport concerne les inégalités régionales en matière d’inclusion financière. Et, ce sont sans surprise les régions de l’intérieur qui disposent de l’inclusion financière la plus faible comme les régions du Sud-Ouest, du Centre-Ouest et du Nord-Ouest, alors que celle du Sud-Est est modérée et celles du Nord-Est et du Centre-Est sont les plus élevées du pays. 

Ces chiffres sur l’état de l’inclusion financière dans notre pays sont importants. Mais, c’est son impact et particulièrement celui des inégalités régionales qui doit susciter notre intérêt. Ainsi, ce rapport révèle que les régions où l’inclusion financière est la plus faible sont les régions qui présentent le niveau de pauvreté le plus élevé. Par ailleurs, ce rapport souligne que l’attractivité des régions augmente avec l’amélioration de l’indice d’inclusion financière. 

Au moment où nous faisons des réformes bancaires, une des priorités des différents gouvernements, il est important de faire de l’accroissement de l’inclusion financière l’une des priorités de ces réformes. En effet, l’inclusion financière demeure un élément essentiel de l’inclusion sociale et économique et de ce point de vue, il est essentiel que les politiques économiques et les stratégies de développement favorisent l’accès aux financements afin de permettre aux PME et aux différents acteurs économiques d’opérer les investissements nécessaires à une reprise de la croissance et à une meilleure intégration sociale.

Ce blog est extrait de la revue "Réalités" publié initialement en mars 2017 et est également consultable sur leur site

Pour en savoir davantage sur l'inclusion financière de la zone Moyen-Orient Afrique du Nord, consulter la page région dédiée du Portail Microfinance etle dernier rapport qui fait état de l'inclusion financière en Tunisie, publié en mars 2017 par l’Institut arabe des chefs d’entreprises.

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