Interview FinDev

Quand une IMF offre des services non financiers : le cas d’enda inter-arabe

Entretien avec Michael Cracknell, secrétaire général d’enda inter-arabe
Crédit photo : Hasan Amin, CGAP 2012.

Enda inter-arabe est une ONG internationale qui offre des services de microcrédit en Tunisie depuis 1995. Quels sont aujourd’hui son nombre d’emprunteurs actifs, son encours de prêt et ses principaux produits de prêt ?

Nous servons 120 000 clients actifs (ayant un prêt en cours) à partir de 57 agences qui touchent 21 des 23 gouvernorats que compte la Tunisie. Notre personnel permanent est de 650 personnes, surtout des diplômés du supérieur, dont 86% sur le terrain. L’encours de crédit est de DT 56 millions, soit environ € 30 millions.

Contrairement à certaines IMF qui proposent un produit unique, enda inter-arabe a varié ses produits en fonction de la demande. A l’intérieur de chaque produit il y a plusieurs montants et délais de remboursement. Les principaux prêts sont « mawilni » pour les 30% de nos clients qui ont de bonnes chances de développer leur entreprise, le prêt « solfa » pour les simples activités génératrices de revenus plafonné à DT 1 000 pour éviter le surendettement, et le prêt « al machia » (élevage) (nous travaillons de plus en plus en zone rurale).

Parallèlement à ces prêts, nous proposons également le prêt « ta’alim » (éducation), destiné surtout à permettre aux familles d’équiper leurs enfants pour la rentrée scolaire, mais il peut également financer une formation pour le micro-entrepreneur lui-même. Nous avons aussi le prêt « eddar » pour l’amélioration du logement mais actuellement ce dernier est suspendu car il a eu un trop grand succès…

Depuis combien de temps et pourquoi enda-ia en est-elle venue à proposer des services non financiers à ses clients ?

Avant le microcrédit, enda inter-arabe menait des activités de développement urbain : formation professionnelle des jeunes, éducation en matière de santé des femmes… Il était logique, quand nous nous sommes spécialisés dans l’appui aux micro-entrepreneurs en 2001, de continuer ces activités en les alignant sur les besoins des micro-entrepreneurs.

Pourquoi avoir choisi d’intégrer ces activités ? Avez-vous cherché à identifier des partenaires offrant de tels services ?

Les « puristes » de la microfinance estiment qu’une IMF doit se concentrer sur les services financiers. Des activités non-financières (BDS selon le sigle anglais) doivent être proposés par d’autres.

D’abord, nous ne partageons pas ce point de vue. Puis, en Tunisie, l’offre de services de ce genre et à un prix abordable est faible, peu adapté surtout à des analphabètes (35% de nos clients) et inégalement répartie sur le territoire national. Ensuite, nous sommes convaincus que l’argent ne suffit pas. Une cliente avait dit une fois : « Avant, je croyais que je pouvais développer mon entreprise juste avec le crédit. Maintenant que j’ai suivi une formation en gestion, j’ai compris que la formation est même plus importante que l’argent ».

Cela dit, nous avons effectivement développé des partenariats avec des instances gouvernementales, notamment l’Agence national du travail indépendant et l’Office national de l’artisanat, mais aussi avec l’Office de la Population (ONFP). Ces instances proposent des services aux populations cibles de la microfinance mais celle-ci souvent ne sait pas comment y accéder. Ainsi, en faisant la liaison, enda-ia sert d’interface, de même qu’elle est l’interface entre ses partenaires financiers (7 banques tunisiennes et 4 institutions financières internationales) qui ont de l’argent, et les micro-entrepreneurs qui n’intéressent pas les banques comme clients directs.

En quoi consistent ces services ? A qui s’adressent-ils ?

Nous proposons plusieurs types de « BDS ». La formation, par exemple en gestion simple, pour l’amélioration de la qualité des produits ou encore pour connaître de nouveaux créneaux ; l’appui à la commercialisation ; le diagnostic personnalisé menant à la mise en place d’un plan d’affaires. Nous avons aussi les « cercles enda » au cours desquels des sujets liés à la micro-entreprise (la patente, des sessions d’éducation financière…), mais aussi à la vie quotidienne (les droits de la femme, le divorce, la santé) sont présentés et font souvent l’objet de vives discussions. Nous organisons aussi, en collaboration avec le Ministère des affaires sociales, des cours d’alphabétisation.

Les formations sont sanctionnées par un diplôme, souvent l’unique diplôme que ces femmes obtiennent et elles en sont très fières.

Tous les clients peuvent en profiter, mais bien entendu, plus l’activité est technique, plus elle intéresse le segment des « entreprises ».

Quelles sont les principales difficultés et les risques associés à cette offre ?

Il n’y a pas de difficultés particulières à proposer ces services. Nos avons une petite équipe centrale chargée d’organiser les BDS et formée chacun dans son domaine. Nous sommes en train de décentraliser l’organisation des BDS. Parfois certaines agences organisent des activités elles-mêmes. Peut-être faudrait-il parler d’une certaine réticence à participer de la part de celles qui n’ont jamais goûté aux BDS.

Nous avons pour politique que le gratuit n’a pas de valeur et donc une contribution est presque toujours demandée. Parfois elle couvre tout et parfois elle est symbolique, en fonction de l’activité.

Mais les BDS n’ont pas suivi le rythme du très fort développement du microcrédit. Enda inter-arabe compte mettre en place une banque de microfinance d’ici 2012 et après, l’ONG sans doute développera beaucoup ses activités.

Comment est-elle financée depuis ses débuts ?

Au début (depuis le lancement du microcrédit en 1995), nous avons obtenu le soutien financier surtout de la Commission européenne et de la coopération espagnole. Nous avons eu d’excellents partenaires, comme Ipade, Intermon et Medicus Mundi en Espagne, ICCO aux Pays-Bas, Batik International ou le CCFD en France. Des Ambassades (Pays-Bas, Grande Bretagne) nous ont également apporté leur soutien. Mais aujourd’hui, sans refuser des apports extérieurs, les activités BDS sont financées par nos propres moyens (enda inter-arabe est autosuffisante depuis 2003).

On peut donc dire que les ressources de l'IMF subventionnent en partie l'offre de BDS ?

Oui. Même quand le paiement couvre tout le coût (excursions par exemple, que nous organisons pour encourager le networking), il s'agit seulement des coûts directs. L'IMF subventionne le reste.

En quelques chiffres clés, quels sont les résultats obtenus ?

Pendant le premier semestre 2009, nous avons organisé 35 sessions de formations diverses, dont la moitié en zone rurale (nouveau pour nous) avec au total de 368 participants, fait participer 60 femmes à 6 foires nationales et organisé 86 cercles d’enda avec une participation moyenne de 20 personnes. Ce n’est sans doute pas mal pour une ONG. Mais c’est peu par rapport à tant d’emprunteurs ! Nous comptons renforcer l’équipe et d’ailleurs nous cherchons une personne en mesure de dynamiser ces activités.

Avez-vous évalué la satisfaction des clients vis-à-vis de ce service ou mesuré son impact sur les bénéficiaires, et si oui comment ?

Oui, nous avons fait plusieurs évaluations d’impact, y compris par des consultants extérieurs. On peut trouver certains textes sur notre site. En général, on peut dire que les micro-entrepreneurs qui ont suivi des formations mènent mieux leur entreprise et la qualité de leur produits se transforme ; que celles qui participent à des foires apprennent énormément sur le tas (qualité, prix, techniques de vente…) et créent des réseaux. Lors des discussions dans les cercles, auxquelles participent presque exclusivement des femmes, un travail d’empowerment est fait, par exemple une meilleure connaissance de leurs droits.

Avez-vous noté un impact de ces services d’appui sur la qualité du portefeuille ?

En vérité, le pourcentage des clients touchés par les BDS est si faible que ce serait difficile d’y voir un lien d’impact fort. Il est de moins de 5%, la part diminuant chaque année au fur et à mesure que le nombre de clients actifs augmente. Mais nous nous organisons pour augmenter le nombre touché au cours des prochaines années, en commençant par une opération "éducation financière" pour tous dès maintenant. 

 

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