Interview FinDev

A quoi sert la recherche en microfinance ?

Entretien avec Marek Hudon, du Centre Européen de Recherche en Microfinance
Crédit photo : Rajendra Malviya, CGAP 2012.
Le 18 mars dernier, le CERMi a fêté ses 5 ans. Jeune, le Centre Européen de Recherche en Microfinance n’en offre pas moins déjà un bilan remarqué. Créé pour développer la recherche multidisciplinaire en microfinance et fédérer les chercheurs, le Centre compte aujourd’hui plus de 36 chercheurs associés d’Europe et d’ailleurs. Quelles sont ses activités et comment nourrissent-elles les pratiques du secteur ? Marek Hudon du CERMi répond à nos questions.
 
Portrait du CERMi
Créer un lieu de rencontre pour les chercheurs
Le Centre Européen de Recherche en Microfinance est né fin 2007 pour répondre à une demande : créer une plateforme d’échanges entre les chercheurs de diverses disciplines (gestion, économie, sociologie, etc.) intéressés par la microfinance. Il a été fondé à l’initiative de deux centres de recherche universitaires belges, le Centre Emile Bernheim (au sein de la Solvay Brussels School of Economics and Management, Université Libre de Bruxelles) et le Centre de Recherche Warocqué (de la Faculté Warocqué d’Economie et de Gestion, Université de Mons), et porté par un trio aujourd’hui à la tête du Centre : Ariane Szafarz et Marek Hudon (C.E.Bernheim) et Marc Labie (Warocqué).
 
Basé en Belgique (Bruxelles et Mons), le Centre compte aujourd’hui 36 chercheurs associés et 7 doctorants qui ont l’occasion d’échanger et de présenter leurs travaux lors d’ateliers et de séminaires réguliers. En juin 2009, le Centre a organisé le premier Congrès européen de recherche en microfinance, récompensé par le Prix Wernaers pour la recherche et la diffusion des connaissances octroyé par le FNRS. Le congrès est désormais organisé tous les deux ans par une université partenaire différente. Le 3ème Congrès européen de recherche en microfinance aura lieu en juin 2013 en Norvège (voir encadré).
 
Promouvoir des dynamiques communes
Outre les recherches portées par les doctorants du Centre, le CERMi participe à plusieurs projets conduits en partenariat sur le terrain. Il est par exemple impliqué dans un projet interuniversitaire en RDC qui réunit 4 universités congolaises et 4 universités belges visant à renforcer la formation de professionnels de la microfinance en RDC et à développer un réseau de centres de recherche.
 
Un autre projet est mené au Burundi en collaboration avec des professeurs de l’ULB depuis janvier 2012. Il s’intéresse à l’impact des dons et des microcrédits sur la consommation des ménages ruraux. La question de l’inclusion financière dans les pays en développement fait l’objet d’un troisième projet international en partenariat avec l'Université de Paris I (France), l'Université de Fribourg (Suisse) et le Centre LASAARE (Maroc).
 
3ème Congrès européen de recherche en microfinance
10-12 juin 2013, Université d’Agder, Kristiansand, Norvège
Le 3ème Congrès est organisé par l’Université d’Agder en coopération avec la Plateforme Européenne de la Microfinance, le CERMi et l’Université de Groningen.
 
Il abordera les thèmes suivants :
 
-Micro-assurance
-Micro-capital
-Micro-épargne
-Impact social de la microfinance
-Management des organisations de microfinance
-Groupes d’épargne et de crédit
-Transferts d’argent et instruments de paiement en microfinance
-Investissements en microfinance
-Technologies de l’information et de la communication en microfinance
-Gouvernance de la microfinance
-Questions réglementaires et de politique en microfinance
 
Entretien avec Marek Hudon, co-directeur du CERMi
1. En quoi le CERMI est-il lié au Master complémentaire conjoint en microfinance ?
MH : Le CERMi a été créé dans la continuité de ce master en microfinance, plus connu sous le nom de « European Microfinance Programme »  (EMP). Le CERMi représente le volet ‘recherche’ alors que l’EMP concerne la partie ‘enseignement’ de nos activités. De nombreux professeurs de l’EMP sont associés au CERMi. Ils présentent des séminaires de recherche pendant leurs séjours d’enseignement en Belgique. Cette collaboration se matérialise aussi par des publications communes et des thèses de doctorat supervisées en co-tutelle.
 
2. Quel est le rôle du CERMi dans l’enseignement de la microfinance ?
MH : Les enseignements donnés dans l’EMP sont directement liés aux recherches effectuées par les chercheurs du CERMi. Nos enseignants sont des chercheurs de haut niveau en microfinance, dans des domaines tels que la gouvernance, la commercialisation ou les questions éthiques ou de genre. Ils enseignent ainsi  les résultats des recherches les plus récentes.
 
3. De nouveaux programmes de formation sont-ils à l’étude ?
MH : Pas pour l’instant. Nous nous attachons plutôt à consolider l’EMP, avec des nouvelles sessions ou intervenants. Cette année, nous avons revu l’organisation des stages (qui sont obligatoires) dans des institutions de microfinance ou des organisations liées au secteur. En outre, plusieurs de nos membres, dont nos doctorants, interviennent régulièrement dans des formations existantes dans des pays du sud, en particulier au Congo.
 
4. Quels sont les principaux axes de recherche du CERMi ?
MH : Les chercheurs du CERMi travaillent principalement sur les questions de gouvernance, de politique publique, de genre, sur les produits et les questions éthiques en microfinance. Nous participons aussi activement à un vaste projet de recherche de 5 ans sur l’entrepreneuriat social, en collaboration avec les Universités de Liège et de Louvain ainsi que la VUB (Vrije Universiteit Brussel). D’autres thématiques sont aussi abordées dans le cadre de thèses de doctorat ou de projets de recherche spécifiques. Parmi ceux-ci, on peut citer la flexibilité des produits de microfinance, la microfinance « verte », le surendettement ou encore les placements financiers en microfinance.
 
5. Quels sont les sujets d’actualité de la recherche en microfinance ? Que nous disent-ils des tendances de la microfinance en 2013 ?
MH : La question de la dérive de mission ou « mission drift » reste d’actualité. Il s’agit d’examiner dans quelle mesure la mission sociale est sacrifiée pour faire face aux contraintes de soutenabilité financière. Dans ce cadre, les défis liés à la commercialisation et la subsidiation des institutions de microfinance occupent une place centrale. L’entrée en bourse de Compartamos et SKS, par exemple, sont au centre des débats entre chercheurs. 
 
Je citerais aussi les questions de la profitabilité des prêts aux femmes et du niveau des taux d’intérêt qui reviennent fréquemment. On entend aussi beaucoup parler de concurrence et de régulation du secteur. Ce sont les tendances que j’observe au sein du réseau international du CERMi. D’autres chercheurs travaillent sur les questions d’impact, mais ils sont plus nombreux aux Etats-Unis qu’en Europe, vu la taille des budgets nécessaires pour organiser des études randomisées.
 
6. La recherche sert à faire avancer les pratiques. Mais on sait aussi que les chercheurs et les opérateurs manquent souvent d’occasions d’échanges et a fortiori de collaboration. Comment les résultats de recherche viennent-ils nourrir les approches des acteurs de microfinance sur le terrain ?
 
MH : Nos sujets de recherche sont directement liés aux pratiques et enjeux du terrain. Au CERMi, nous insistons sur le lien entre la recherche et ses implications concrètes pour le secteur. Nos doctorants collectent tous des données, quantitatives ou qualitatives, chez des acteurs de terrain : clients, IMF, bailleur ou investisseurs par exemple. Je reviens d’un séjour d’un an au Vietnam où j’ai travaillé sur la transformation des IMF en institutions régulées. A la fin du séjour, j’ai eu l’occasion de présenter mes premiers résultats devant un panel de dirigeants d’IMF et de bailleurs de fonds. L’échange fut très fructueux pour tous. Dans le cadre de l’EMP, nous invitons de nombreux praticiens qui font bénéficier nos étudiants de leur expérience. Nous avons ainsi eu la chance de recevoir récemment Vijay Mahajan, directeur de BASIX (Inde) et du Comité Exécutif du CGAP.
 
7. Parmi les recherches récentes, y a-t-il eu des résultats susceptibles de remettre en cause des approches ou des postulats courants ?
 
MH : Sans aucun doute. Pour n’en citer que deux, je pense d’abord aux recherches menées par Ariane Szafarz et Isabelle Agier qui montrent que les femmes sont parfois discriminées en microfinance car, dans des circonstances identiques, elles reçoivent de plus petits prêts. Ces résultats ont surpris plusieurs acteurs de terrain. Ensuite, les recherches de Marc Labie sur la gouvernance en microfinance ont ouvert une voie inexplorée, et ce bien avant les crises qui ont secoué le secteur et qui furent en partie liée à des problèmes de gouvernance.  
 
8. La question de l’impact de la microfinance et de sa mesure a récemment repris une place centrale dans les débats. Les opérateurs continuent de renvoyer dos à dos les tenants des études quantitatives expérimentales et les tenants des études qualitatives. La recherche travaille-t-elle sur une voie médiane ?
 
MH : Il est vrai que peu d’études combinent réellement les méthodes quantitatives et qualitatives alors que cette combinaison est la plus à même de donner une image fidèle de la situation. Une des difficultés est que les protocoles de recherche sont fort différents et peu de chercheurs maitrisent les deux approches. Malgré cela, le dialogue existe et je suis persuadé que l’approche multidisciplinaire se développera dans le futur.  Par exemple, lors des dernières journées de recherche du CERMi, des articles aussi bien qualitatifs que quantitatifs ont été présentés et l’ensemble des chercheurs ont activement débattu des aspects méthodologiques.
 
J’ajoute que la mesure d’impact n’est pas la seule approche quantitative. L’approche économétrique permet d’examiner de nombreuses questions pratiques telles que la manière optimale de subsidier les IMF. Le plus important est d’avoir accès à des bases de données fiables. A ce niveau, les praticiens peuvent réellement contribuer à la qualité des recherches actuelles.
 
9. Le CERMi est impliqué dans un projet interuniversitaire en RDC auquel participent plusieurs universités congolaises. Les collaborations entre chercheurs du Nord et du Sud sont-elles nombreuses ?
 
MH : Oui, plusieurs chercheurs du Sud viennent effectuer des séjours de recherche dans des institutions européennes. Actuellement, le CERMi accueille deux doctorants congolais. Dans l’EMP, quasiment la moitié des étudiants viennent de pays en développement. Certains poursuivent ensuite par un doctorat au CERMi. Par ailleurs, Marc Labie et une de nos doctorantes reviennent d’une mission au Bangladesh où ils ont noué d’importantes collaborations qui devraient à terme conduire à des projets en collaboration. Un de nos anciens doctorants est à présent professeur au Burundi et il nous aide à y mettre en œuvre une étude de large envergure. Il faut cependant reconnaître que nos capacités d’accueil et de formation à la recherche restent limitées.
 
10. Quels sont vos liens avec les autres acteurs du secteur : bailleurs, opérateurs d’appui, prestataires de services de microfinance ?
 
MH : Tout d’abord, l’EMP est co-organisé avec 5 ONG active en microfinance : ADA (Luxembourg), CERISE (France), BRS (Belgique), PlaNet Finance (France) et SOS Faim (Belgique).  Ensuite, nous avons aussi des contacts avec différents acteurs que ce soit pour implémenter nos recherches, collecter des données, voire financer les recherches dans le cadre des bailleurs de fonds. Les étudiants de l’EMP réalisent tous un stage pratique et contribuent activement à entretenir ces liens fondamentaux avec les acteurs du secteur.
 
11. Au niveau européen, quelles sont les autres initiatives autour de la recherche ? Etes-vous en lien avec UMM (University Meets Microfinance) ?
 
MH : De nombreux chercheurs européens travaillent sur la microfinance, mais ils sont le plus souvent isolés dans leurs institutions. Regrouper les chercheurs européens est l’un des objectifs majeurs du CERMi. Les étudiants de l’EMP sont régulièrement financés par l’UMM dans le cadre de leurs différents appels à projet.
 
12. Quels sont les prochains défis de la recherche en microfinance ?
 
MH : Selon moi, on assiste actuellement à une tendance de généralisation des sujets de recherche liés à la microfinance. Ainsi, on voit de plus en plus traiter la question de l’inclusion financière, y compris dans les pays développés. Les aspects technologiques (phone banking, notamment) apparaissent de plus en plus. En fait, ces questions dépassent souvent le cadre strict de la microfinance.
 
A priori, c’est plutôt positif. Néanmoins, le défi sera de conserver l’attention des chercheurs sur la microfinance à proprement parler. Il est important, par exemple, de continuer à étudier les prêts de groupe et le rôle spécifique des ONG. Les institutions de microfinance ont évidemment de nombreux points communs avec les autres institutions financières comme les banques, mais leurs spécificités continuent de mériter toute l’attention des chercheurs.

 

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