Interview FinDev

Focus sur les grands enjeux de la notation en microfinance

Crédit photo : Shudipto Das, CGAP 2012.
S’il existe des agences de notation telles que Moody’s ou Standard & Poors, qui offrent leurs services au monde financier classique, le marché de la microfinance possède également ses propres agences de notation spécialisées. Elles jouent un rôle essentiel en matière de transparence. Bon nombre d’institutions de microfinance (IMF) considèrent les notations externes comme une priorité pour rassurer les bailleurs de fonds, les investisseurs et autres parties prenantes du secteur sur leur transparence, ainsi que sur l'intérêt financier et social qu'elles présentent.
 
Quelles sont les activités des agences de notation spécialisées ? Comment se différencient-elles des agences de notation classiques ? Comment nourrissent-elles les pratiques du secteur ? A quelles fins sont utilisés les rapports de notation ? M-CRIL, Microfinanza et Planet Rating répondent à nos questions.
 
Environnement concurrentiel et défis 
Aldo Mauro, Directeur Exécutif de MicroFinanza
 
Pourquoi l’émergence des agences de notation spécialisées dans la microfinance ?

Ces agences sont apparues à la fin des années 90 pour répondre au double objectif de transparence et d’accès à des sources d'informations indépendantes. Leur émergence a été stimulée par le soutien d’organisations internationales telles que la BID (Banque Interaméricaine de Développement), le CGAP (Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres), la Fondation Ford, la CAF (Corporation andine de développement), l’ONG luxembourgeoise ADA et la coopération suisse de développement. A partir de là, des agences de notation spécialisées en microfinance ont mis au point et consolidé des méthodologies et des procédures pour évaluer une grande variété d'IMF dans le monde.

Comment les agences de notation réagissent-elles face aux agences de notation classiques (telles que Moody’s, Standard & Poors, CRISIL, Fitch, etc.) qui offrent de plus en plus de services de notation aux IMF (surtout les Tiers 1) ?
 
Les ratings issus d’agences spécialisées en microfinance donnent un avis sur la viabilité à long-terme d’une IMFet se focalisent sur l’évaluation de domaines tels que la gouvernance, le système d’information et de gestion, les produits financiers complémentaires au crédit et de la gestion des risques financiers. Les agences de notation classiques sont chargées d’évaluer le risque crédit, qui se concentre principalement sur la probabilité de défaut à court terme. Dans certains pays comme l'Équateur, la Bolivie ou le Pérou, les agences de notation spécialisées sont autorisées par les régulateurs à noter des IMF réglementées. Dans un tel environnement, elles sont en concurrence directe avec les agences de notation classiques.
 
Que pensez-vous de compétiteurs qui ont développé un « closed circuit model » leur permettant de réaliser le due diligence d’investissement ? Plus généralement, quelle valeur donnent les investisseurs à la notation spécialisée et comment l’utilise-elle ?
 
Les investisseurs – principalement les gestionnaires de fonds en microfinance – utilisent systématiquement le rating financier (appelé rating institutionnel microfinancier) pour faciliter leur décision d’investissement. Les principaux fonds d’investissement (regroupés sous le terme MIV, Microfinance Investment Vehicles) sont d’ailleurs abonnés aux agences de notation en microfinance et reçoivent les rapports de notation nouvellement émis. 
 
Les agences de notation spécialisées se sont diversifiées et ont commencé la notation et l’évaluation d’investisseurs et de fonds de microfinance. Elles fournissent par ailleurs des services spécifiques aux investisseurs comme des audits préalables d'acquisition (due dilligence), des audits de portefeuille ou des études de marché. 
 
Enfin, en marge du rating institutionnel microfinancier, les investisseurs font un usage de plus en plus systématique du rating social, produit proposé lui aussi par les agences de notation spécialisées. Elles ont, à ce titre, développé des méthodologies d'évaluation des performances sociales particulièrement appréciées des investisseurs et autres parties prenantes (SPTF, Smart Campaign, Truelift).
 
Comment voyez-vous l’avenir des agences spécialisées ?
 
Les agences de notation spécialisées ont encore de beaux jours devant elles. Elles peuvent se diversifier et fournir d’autres services au secteur de la microfinance, parmi lesquels :
i/ Une collaboration accrue avec les régulateurs dans les pays où les IMF seront mieux régulées et les ratings devenus obligatoires au moins pour certains types d’IMF (habilitées à proposer de l’épargne).
ii/ Une pénétration des marchés plus importants et mieux consolidés tels que le Brésil, le Mexique, la Chine ou la Russie.
iii/ Proposer des ratings dans d’autres secteurs comme l’entrepreneuriat social (social business) ou le commerce équitable. 
 
Dans les domaines de la performance sociale et de la protection du client, les agences de notation spécialisées pourraient renforcer leur contribution à l’amélioration d’une finance responsable ainsi qu’à la réduction de l’exposition du secteur à une réputation parfois peu reluisante et au risque de surendettement. Enfin, elles sont les mieux placées pour développer davantage de méthodologies et des procédures d’évaluation d’impact efficientes, basées sur leur expérience du rating social (avec les études de la clientèle) et des données collectées jusqu’ici.
 
Méthodologie d’évaluation
Laurent Chauvet, analyste senior chez Planet Rating
 
Les agences de notation proposent-elles des méthodologies d’évaluation différentes ou bien se concertent-t-elles pour mettre au point des outils communs afin d’harmoniser les pratiques ? 
 
Lorsque les agences de notation spécialisées en microfinance ont commencé leurs activités à la fin des années 90, elles ont développé des méthodologies de notation institutionnelle similaires. Celles-ci donnent une opinion sur la viabilité et la solvabilité à long terme d’une IMF en analysant des domaines tels que la gouvernance, la gestion des risques, la performance financière. Par la suite, Les agences de notation ont progressivement introduit les notations de performance sociale qui analysent la capacité d’une IMF à remplir ses objectifs sociaux. Suite aux différentes crises qui ont affecté le secteur de la microfinance (Maroc, Bosnie, Andhra Pradesh, etc.), les agences de notation ont décidé conjointement d’inclure l'analyse des risques sociaux dans leur méthodologie de notation institutionnelle en y ajoutant des facteurs d’évaluation tels que la protection du client ou la performance financière responsable. Dans un souci de transparence et de clarté, les quatre agences de notation internationales (M-CRIL, MicroFinanza Rating, MicroRate, et Planet Rating) ont également contribué à l’élaboration du Guide du Rating et Guide du Rating Social publiés par la Rating Initiative. Elles participent aussi régulièrement à des groupes de travail communs afin d’harmoniser leurs pratiques (Social Performance Task Force, Smart Campaign).
 
Ces méthodologies ont-elles été créées à l’intention de n’importe quel type d’IMF? Ou bien ont-elles été mises au point pour répondre à des objectifs spécifiques ?
 
Les méthodologies s’appliquent à tout type d’IMF (ONG, coopérative, banque, etc.). Les agences de notation ont cependant adapté leurs produits afin de prendre en considération à la fois l’objectif de l’évaluation et le stade de développement de l’IMF. En parallèle des notations, elles ont ainsi créé des évaluations interactives, destinées à des IMF moins matures dont l’objectif prioritaire n’est pas forcément de recevoir des financements mais plutôt d’identifier leurs points faibles afin d’améliorer leurs procédures en interne.
 
Des méthodologies ont également été créées pour répondre à des besoins plus spécifiques. C’est le cas de la Certification de la Protection des Clients, initiative lancée en 2012 par la Smart Campaign, et dont les quatre agences de notation internationales sont des certificateurs agréés. Une méthodologie d’évaluation spécifique a également été développée dans le cadre à l’initiative TrueLift qui vise à reconnaitre les IMF qui  servent en priorité les populations pauvres.
 
Objectifs et défis de la notation 
 
Comment le travail des agences de notation spécialisées contribue-t-il à la professionnalisation du secteur de la microfinance ?
 
En fournissant une opinion externe, objective, et comparable sur la performance et le profil de risques des IMF, les agences de notations participent à la professionnalisation du secteur de plusieurs manières. Elles permettent tout d’abord aux institutions notées d’améliorer leurs pratiques en accord avec les standards internationaux reconnus. Elles offrent également une source d’information indépendante aux investisseurs afin de les aider à prendre des décisions d’investissement avisées. Enfin, le fait que les notations soient rendues publiques contribue à accroitre la transparence du secteur. Par ailleurs, des initiatives telles que la Certification de la Protection des Clients, dont les agences de notation sont partenaires, encouragent les institutions à développer des systèmes pour diminuer le risque de pratiques irresponsables.
 
Les banques centrales reconnaissent-elles le travail des agences de notation spécialisées ? Quels pays imposent des ratings au secteur de la microfinance ?
 
Dans un certain nombre de pays, les régulateurs utilisent les rapports de notations comme outil de suivi de la performance des IMF. Dans les marchés les plus matures comme l’Amérique Latine, les autorités de supervision du secteur de la microfinance imposent souvent aux IMF régulées de réaliser des notations. C’est le cas notamment en Bolivie, en Colombie, en Equateur, ou encore au Pérou. Certains pays comme la Bolivie obligent également les IMF à réaliser des notations de performance sociale. Les agences de notations sont aussi amenées à effectuer régulièrement des formations pour le personnel des départements de microfinance des banques centrales afin de leur expliquer en détail les méthodologies de notation.
 
Qui évalue les services des agences de notation spécialisées ?
 
Les agences de notation ne sont pas elles-mêmes évaluées mais le fait qu’elles servent un éventail toujours plus large de clients est un bon indicateur de la crédibilité qui leur est accordée par tous types d’acteurs (IMF, investisseurs, Banques Centrales). Par ailleurs, les agences de notation spécialisées accordent une grande importance à leur indépendance et leur impartialité. Ainsi, afin de prévenir les risques de conflits d’intérêt, M-CRIL, MicroFinanza Rating, MicroRate, et Planet Rating ont signé le Code de Bonne Conduite pour les agences de notation en microfinance en septembre 2011, dans le cadre du Forum d’African Microfinance Transparency (AMT). L’objectif de ce Code est d’assurer et de promouvoir l’intégrité et la qualité des notations. Il décrit les bonnes pratiques que doivent respecter les agences de notation, telles que l’interdiction d’entretenir des liens financiers avec les IMF et les investisseurs ou de fournir des services d’assistance technique aux IMF. Par ailleurs, une revue des outils de notation sociale de M-CRIL, Microfinanza Rating et Planet Rating est disponible sur le site de la Social Performance Task Force.
 
Attentes, usages et évolution des rapports de notation
Directeur Exécutif de M-CRIL (Micro-Credit Ratings International Limited)
 
Comment les rapports de rating ont-ils évolué ces 10 dernières années ?
 
L’évolution des méthodologies de rating va de pair avec la croissance continue de l’industrie de la microfinance. Dans le cas de M-CRIL, on observe principalement deux types d’évolution :
i/ L’amélioration des normes dans les paramètres de notation.
ii/ L’inclusion de nouveaux paramètres de notation. En ce qui concerne le rating institutionnel microfinancier, les normes de la plupart des indicateurs – pour la gouvernance, système de gestion et performance financière – ont été revues à la hausse pour être conformes aux références mondiales.Par ailleurs, les préoccupations majeures autour de la finance responsable et de la protection du client ont influencé l’intégration de ces aspects dans le rating institutionnel microfinancier.
 
Comment les IMF, leur direction et leur conseil d’administration (CA), utilisent-ils les informations des rapports de notations ?
 
i/ Le rapport issu du rating institutionnel microfinancier fournit une évaluation indépendante des risques opérationnels, du contrôle interne, de la structure de la gouvernance et de la performance financière de l’IMF. C’est un moyen pour le CA et la direction d’identifier les faiblesses et les risques pouvant affecter la solvabilité et la viabilité de l’institution. 
ii/ Le rapport issu du rating social fournit une analyse concise de la capacité d’une IMF à remplir ses objectifs sociaux. Cela permet au CA et à la direction de voir si leurs objectifs financiers et sociaux vont de pair et le cas échéant de définir des axes d’amélioration et des bonnes pratiques dans le but de réduire le risque et de renforcer la performance sociale de l’institution.
iii/ Les conclusions des rapports de notation sont utilisées par le CA de l’IMF afin de revoir ses politiques opérationnelles et les mécanismes de contrôle interne, et concevoir un cadre de gestion des risques.
iv/ Les notations sont aussi un moyen de faire une analyse comparative des IMF concurrentes tant sur le plan régional que national permettant ainsi à la direction d’améliorer ses stratégies financière et opérationnelle ainsi que son système de gestion.
 
Est-ce que les IMF mettent en place des actions correctives suite aux notations et recommandations faites par les ‘raters’ ?
 
Un certain nombre de ratings menés et les retours de plusieurs directions d’IMF permettent de dire que les conclusions des notations sont prises au sérieux par les institutions qui mettent en place des actions correctives.    
Cela peut se traduire par les actions suivantes :
i/ Renforcer les mécanismes de contrôle interne et développer un cadre approprié de gestion des risques.
ii/ Mieux gérer les coûts et la rentabilité de l’IMF ainsi que diversifier le portefeuille d’investisseurs/bailleurs de fonds.
iii/ Suivre scrupuleusement les lignes directrices de la règlementation et le code de conduite, et veiller à une meilleure protection des clients.
iv/ Renforcer les pratiques de gouvernance, particulièrement en ayant davantage d’administrateurs indépendants, en adoptant de meilleures pratiques en termes d’utilisation/circulation de l’information, d’audit interne et de structure de la rémunération.
v/ Analyser et décomposer la mission de l’IMF en objectifs mesurables.
vi/ Améliorer le cadre de protection de la clientèle et la collecte de données sociales.
 
Y-a-t-il un suivi fait par les agences de notation ?
 
Notre agence de notation n’est pas engagée dans une surveillance continue des actions des IMF à moins qu’elle ne soit, à titre exceptionnel, contractée pour le faire. Et c’est le cas de certaines institutions qui demandent un examen périodique durant l’année de validité des notations. Néanmoins, nous surveillons de près les marchés des pays dans lesquels nous intervenons et dans le cas d’une évolution majeure de l’environnement externe, la notation peut être révisée. A titre d’exemple, les notations des IMF, ayant été fortement exposées à la crise dans l’Andhra Pradesh (état du Sud de l’Inde), ont été retirées. 
 
Est-ce que les IMF considèrent ce type de service comme une priorité ? 
 
La plupart des IMF saisissent l’importance que recouvre la notation dans la mesure où elle est une exigence de leurs investisseurs/bailleurs de fonds. Plusieurs raisons les poussent à considérer la notation comme une priorité : 
i/ La notation issue du rating institutionnel joue un rôle majeur dans l’obtention de fonds auprès des investisseurs dans la mesure où les rapports émettent un avis sur la solvabilité et la viabilité à long terme de l’IMF. 
ii/ Les banques utilisent le rating institutionnel microfinancier comme une évaluation externe indépendante pour avoir un avis sur les forces, les faiblesses et les meilleures pratiques des institutions.  
iii/ De nombreuses IMF utilisent la notation afin de comparer leurs performances par rapport à la concurrence et ainsi identifier les domaines d’amélioration possibles. 
iv/ Les bailleurs de fonds apprécient la valeur ajoutée du rating social d’évaluer la capacité de l’IMF à mettre sa mission en pratique et d’atteindre ses objectifs sociaux.
 
De la même façon quels usages font les investisseurs et les législateurs des informations recueillies dans les rapports de notation ?  
 
Les investisseurs utilisent les rapports de notation dans les cas suivants :
i/ Quand ils veulent émettre de la dette subordonnée et dans certains cas comme rapport d’évaluation initial pour faciliter une décision de placement en actions.
ii/ Les équipes crédit et risques des fonds d’investissement se basent sur les rapports pour effectuer une triangulation des conclusions de leurs propres évaluations internes.
 
Les régulateurs utilisent l’information des rapports pour contrôler tant la performance globale du secteur que le respect des normes prudentielles de gestion des risques, des principes de protection des clients et du code national de conduite par les IMF. Ces autorités de contrôle s’appuient en outre sur ces rapports pour élaborer les politiques et les réglementations sectorielles à plus long terme.La tenue de conférence et la publication de rapports techniques et rapports pays permettent en effet aux décideurs politiques d’avoir une vision globale du secteur et faciliter certaines décisions stratégiques. 

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