Interview FinDev

Financement de l'habitat : état des lieux

Entretien avec Christoph Pausch, Secrétaire Exécutif de l'e-MFP
Christoph Pausch, e-MFP

Cette année, la Semaine Européenne de la Microfinance mettra à l'honneur le thème du "Financement de l'habitat". Le Portail Microfinance en a profité pour interroger Christoph Paush, Secrétaire Exécutif de la Plateforme Européenne de la Microfinance qui organise la SEM chaque année, sur le thème de la conférence.  

Pourquoi le secteur financier traditionnel reste réticent à financer l’habitat dans les pays en développement ?

C’est un problème multidimensionnel. L’efficacité des systèmes de financement du logement, y compris la microfinance, exige un certain degré d'engagement : le personnel a besoin d'une formation ciblée pour appliquer des évaluations aux projets de construction et pour vérifier les titres fonciers. De plus, l'institution a souvent besoin de développer des relations avec les maçons et entreprises de constructions locaux; il faut en outre connaître les lois et les programmes gouvernementaux relatifs au logement et à la construction d’habitations. Pour les institutions de microfinance, il y a également un défi financier supplémentaire, car un portefeuille de logements nécessite une gestion à plus long terme ainsi que des fonds disponibles sur le long terme également. Ceci induit des risques tels que la volatilité des taux d'intérêt auxquels la plupart des IMF ne sont pas habituées. Et les prêteurs n’ont pas assez de pression concurrentielle pour offrir des prêts pour le logement. De nombreuses études ont montré qu'une partie importante des clients réorientent leurs prêts octroyés à leurs microentreprises pour les travaux d’amélioration de leur logement. En l'absence de pressions concurrentielles fortes, de nombreuses IMF ont trouvé plus simple de maintenir le statu quo plutôt que de se lancer dans ce qui leur semble être une pratique coûteuse avec des rendements inconnus.

Il y a aussi des obstacles venant d'autres parties prenantes. Dans de nombreux pays, les réglementations des institutions de microfinance tendent à limiter les prêts aux activités entrepreneuriales, et excluent par conséquent le logement. Par ailleurs, du point de vue financier, il y a un manque de financement à long terme et à faible coût. En particulier en devises locales, où il est nécessaire de construire des portefeuilles durables pour les prêts au logement. Enfin, un certain nombre de facteurs légaux et contextuels entrent en jeu : dans de nombreux pays, les registres fonciers ne comptent pas les ménages pauvres et ruraux, et le problème s’accentue  particulièrement dans les établissements urbains informels, tels que les bidonvilles. De même, les lois et les systèmes régissant l'utilisation de la terre comme garantie de prêts – primordial pour les micro-hypothèques - sont inefficaces ou inaccessibles à tous, excepté aux ménages les plus riches.

Pourtant, il ne faut pas que les obstacles nous découragent- les opportunités de financement du logement sont bel et bien présentes, et le secteur de la microfinance peut faire beaucoup pour les élargir considérablement.

De nombreuses études ont montré qu'une partie importante des clients réorientent leurs prêts octroyés à leurs microentreprises pour les travaux d’amélioration de leur logement.

Quel bilan peut-on tirer des récentes initiatives de financement de l’habitat ? Qui en a bénéficié ?

Les initiatives sont nombreuses et extrêmement vastes. Parmi les meilleures institutions qui ont participé au Prix européen de la microfinance, on trouve, par exemple, une coopérative rurale qui travaille étroitement  avec des familles indigènes au Mexique, leur fournissant des services d’épargne et des prêts, et leur permettant d’accéder à des subventions gouvernementales pour le logement conçues pour les plus démunis. Au-delà des services financiers, la coopérative encourage les clients à collaborer aux travaux de construction des logements des autres ménages. Elle travaille en outre avec le gouvernement mexicain pour s'assurer que les critères de subvention puissent être adaptés aux réalités de leurs clients. D'autres projets incluent notamment des programmes de formation pour encourager les maçons locaux à utiliser des techniques de construction antisismiques, en utilisant des matériaux de construction rentables et fabriqués localement. Les clients de la microfinance pour le logement sont ensuite invités à embaucher des maçons ayant suivi cette formation. D'autres acteurs de la microfinance pour le logement se concentrent sur l'octroi de micro-hypothèques - de petites hypothèques pour les familles de la classe moyenne – leur permettant d’acheter des appartements dans des immeubles de plusieurs étages dans les grandes villes, où la disponibilité limitée des terrains rend le bâtiment informel encore moins adéquat.

Ce ne sont que quelques exemples très variés, mais ils ont tous un point commun: ils donnent aux familles précarisées la possibilité de vivre dans des logements de meilleure qualité, qui autrement prendraient plus de temps à être construits ou seraient plus coûteux pour eux.

La microfinance peut-elle proposer ce type de service de manière suffisamment pérenne et massive ? A quelles conditions ?

La question de l'échelle est déterminante. Jusqu'à présent, seule une poignée d’institutions ont déployé le financement du logement à grande échelle. Cependant, l’un des finalistes du Prix sert plus de 180 000 clients avec une gamme de produits pour le financement du logement. De ce fait, il ne fait aucun doute  que le financement du logement pour les familles précaires peut être augmenté. La méthodologie et le savoir-faire existent déjà. Cependant, cela nécessite un engagement de la part des bailleurs de fonds, des institutions de microfinance et, dans certains pays, des changements au niveau des réglementations gouvernementales qui freinent le marché.

N’est-ce pas plutôt le rôle des banques ou de l’Etat ?

Il ne fait aucun doute que les banques et le gouvernement ont là aussi un rôle à jouer. La question est plutôt, quel genre de rôle ? Le déficit de logements de qualité abordables dans les pays en développement est énorme et toujours croissant. Des décennies d'expérience ont montré que presque aucun gouvernement n’a la capacité de satisfaire la demande à une échelle proche de celle requise, et parmi ces initiatives pour y parvenir, nombreuses sont celles qui ont été entravées par la corruption. Mais les gouvernements ont un rôle crucial à jouer dans la création d'un environnement propice au financement du logement afin de motiver les institutions à fournir ces financements, tout en empêchant des pratiques prédatrices qui nuisent aux clients. Dans le cas des banques, elles ont jusqu’à présent montré une grande réticence à s'étendre au-delà de la clientèle avec un revenu élevé. Beaucoup d’entre elles sont incapables d’évaluer la capacité de remboursement des clients à revenu faible ou informel, notamment pour les types de prêts plus importants et à plus long terme que la finance du logement exige. L'expertise des institutions de microfinance réside justement dans cette capacité d’évaluation. Dans les pays où les IMF ont mis en place des programmes pour le logement efficaces, on observe deux tendances: d’un côté les institutions de microfinance se transforment en grandes banques avec des bilans solides; de l’autre côté, les banques commerciales elles-mêmes ont commencé à imiter les IMF, cherchant ainsi de nouveaux moyens d'élargir leur clientèle.


Le Portail Microfinance est partenaire média de la Semaine Européenne de la Microfinance (SEM) qui se déroule du 29 novembre au 1er décembre au Luxembourg. Dans le cadre de la SEM, plusieurs sessions seront dédiées au financement de l'habitat. Pour en savoir plus, consultez le programme.

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