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Les pièges de la digitalisation des IMF : ne pas écouter le client

Marchande à Lagos, Nigeria.

De nombreux pièges guettent les IMF qui s’engagent sur la voie de la digitalisation, mais l'une des erreurs les plus courantes consiste à se lancer dans le processus sans avoir écouté ses clients. Dans notre dernier article, qui a ouvert notre série sur la digitalisation des IMF, nous avons souligné l'importance de partir d’une bonne compréhension de vos objectifs et d’une analyse de rentabilisation solide. Mais l'orientation client est également essentielle dès le début pour garantir que les solutions digitales mises en place répondent réellement aux besoins des clients et génèrent un retour sur investissement.

L’intérêt commercial de l'approche centrée sur le client

Les clients des services de microfinance utilisent de plus en plus les téléphones portables, sont exposés à un éventail croissant de produits numériques et deviennent plus familiers avec la technologie. Lorsque les IMF conceptualisent, conçoivent et testent des solutions numériques, elles doivent écouter leurs clients, en particulier les segments féminins vulnérables, et étudier l'évolution de leurs préférences et de leurs besoins.

Les preuves de l’impact positif de cette approche sur la rentabilité de l’entreprise ne manquent pas. Ranjay Gulati, de la Harvard Business School, a par exemple démontré que les entreprises centrées sur leurs clients avaient globalement enregistré un rendement sur investissement de 150 % entre 2001 et 2007. Il est également prouvé qu'une approche de la digitalisation centrée sur le client favorise l'acquisition et la fidélisation des clients, ainsi que l’augmentation de l'utilisation de l’offre de produits globale d'une institution de microfinance. Selon Bain & Company et la Harvard Business School, augmenter de 5 % le taux de fidélisation de la clientèle accroît les bénéfices de 25 % à 85 %. Ce constat vaut pour tous les secteurs d'activité, et les institutions financières se situent à l'extrémité supérieure de cette fourchette. Les recherches menées par Emmett Murphy et Mark Murphy sur les marchés occidentaux ont montré qu'une augmentation de 2 % de la fidélisation de la clientèle entraînait une diminution de 10 % des coûts.

Lorsque les IMF conceptualisent, conçoivent et testent des solutions numériques, elles doivent écouter leurs clients, en particulier les segments féminins vulnérables, et étudier l'évolution de leurs préférences et de leurs besoins.

À l'inverse, s’engager dans une transformation digitale sans écouter ses clients peut se traduire par un décalage entre les objectifs de l’IMF et les besoins et attentes de sa clientèle. Ce décalage se manifeste par une faible adoption et une utilisation insuffisante des produits et services. Par exemple, selon la GSMA, trois quarts des clients ayant adhéré à un service de transactions mobiles utilisent ce service moins d'une fois tous les 30 jours. Or un produit ou un service inutilisé ou sous-utilisé représente à la fois un coût direct et un coût d'opportunité pour l'entreprise.

Comment le manque d’orientation client se manifeste-t-il ?

Se concentrer sur la solution technologique plutôt que sur les besoins et les attentes des clients est le meilleur moyen pour les IMF de se fourvoyer. Il arrive que les institutions se tournent vers des solutions numériques coûteuses parce qu'elles semblent bien conçues ou parce que les vendeurs les ont convaincues que c'était le produit dont elles avaient besoin. En réalité, il n’est pas toujours nécessaire de recourir à ce type de solutions onéreuses pour répondre aux besoins des clients. Les IMF ne sont pas obligées de dépenser leurs ressources pour acquérir des suites logicielles complètes ou les solutions numériques les plus chères. Une étude du CGAP montre que de nombreuses organisations qui ont réussi leur digitalisation ont eu recours à une approche de produit minimum viable plutôt qu’à des solutions "en or", qui peuvent remplir de nombreuses fonctions mais ne correspondent pas nécessairement aux besoins des clients.

Une autre erreur fréquente consiste à introduire des solutions technologiques dans un environnement où les clients sont incapables de les utiliser. C'est le cas, par exemple, lorsque les IMF développent des applications mobiles sur des marchés où les clients utilisent principalement des téléphones portables basiques ou n'ont pas accès à des forfaits de données mobiles abordables. Cette erreur peut reposer sur l'hypothèse que la technologie est la réponse à tous les défis. L'une des forces du modèle de microfinance a été de s'appuyer sur les relations directes physiques avec les clients, ce qui fonctionne exceptionnellement bien dans des contextes spécifiques. Introduire des solutions technologiques sans offrir aux clients des alternatives en pesonne peut rebuter les clients ou les empêcher d'accéder aux services, et affecter les résultats.

À quoi une IMF doit-elle s'attacher pour centrer son processus de digitalisation sur le client ?

La première étape, et la plus cruciale, est d’interroger les clients. L’exemple de Digicel, un fournisseur de paiements mobiles en Haïti, illustre bien l’importance capitale des études auprès de la clientèle. Grâce à des entretiens menés en 2015 avec ses 40 000 clients de mobile mobiles, l'entreprise a découvert que le menu de son application de services mobiles était confus, que son approche de formation des clients ne fonctionnait pas et que ses agents étaient souvent dans l’incapacité de servir les clients en raison de problèmes de liquidités. Après avoir réglé ces problèmes, Digicel a multiplié sa clientèle par 20 en seulement deux ans.

La deuxième étape consiste à développer une culture de développement de produit agile qui permette aux équipes de recueillir les avis des clients et de concevoir des solutions. Digicel a amélioré la conception de son menu en proposant une seule option pour commencer, celle que la plupart des clients utilisent. Elle a opté pour une formation communautaire plutôt que pour une formation individuelle et expéditive dispensée par les agents. Au sein d’une communauté , les membres s’aident les uns les autres lors de leur utilisation du produit. Elle a amélioré la liquidité de ses agents et a changé sa stratégie de tarification. Digicel a compris que les agents sont aussi des clients qui ont besoin d'être compris et servis.

La troisième étape consiste à accompagner le changement au sein de l'organisation pour garantir la mise en œuvre efficace de l’amélioration de l’expérience client. Digicel a fait appel à des employés expérimentés de son activité principale de télécommunications pour soutenir l'unité mobile money. Cette mesure a favorisé la compréhension des équipes et réduit la résistance au changement, et a eu un effet positif sur les relations entre les unités de télécommunications et de mobile money.

En 2017, Digicel comptait plus de 800 000 clients, dont plus de 500 000 utilisateurs actifs. Écouter les clients, tirer des enseignements de leurs contributions et concevoir les produits pour eux, c’est la voie plus pertinente vers la digitalisation.


Se lancer sans étude clientèle préalable est un écueil courant dans la transformation digitale des IMF, mais ce n'est pas le seul. Pour en savoir plus sur d'autres problèmes courants mais évitables, consultez les autres articles de notre série en cours, « Les pièges de la digitalisation des IMF : quels sont-ils et comment les éviter ? ». Découvrez également la publication en anglais du CGAP Digitization in Microfinance : Case Studies of Pathways to Success, qui s’intéresse plus en détail au parcours de plusieurs IMF qui ont réussi leur digitalisation.

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