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Quand l'interopérabilité est-elle adaptée à la microfinance ?

Agente en Côte d'Ivoire.

Les systèmes de paiement instantané (SPI), ces infrastructures permettant d’effectuer des paiements interopérables en temps réel, continuent de gagner du terrain dans le monde entier. Des solutions comme Pix au Brésil, Raast au Pakistan ou QRIS en Indonésie changent les modes de transaction et ouvrent l'horizon des possibles en matière de paiements. 

Un nombre croissant de décideurs politiques se tournent vers ces systèmes pour faire progresser leurs objectifs d'inclusion financière. Cela passe souvent par une approche globale dans laquelle les plus petites organisations de microfinance ou les plus petits collectifs d'épargne sont connectés aux grandes banques. Pour les institutions détenant des comptes pour leurs clients, cela signifie généralement permettre aux clients d'effectuer des paiements à d'autres fournisseurs. Pour les institutions ne détenant pas de comptes (par exemple les IMF), cela signifie permettre le décaissement et le remboursement par voie numérique à partir de réserves de valeur existantes.   

Dans tous les cas, l'argument est simple : toutes les institutions devraient bénéficier des avantages offerts par les paiements numériques en temps réel. En d'autres termes, il ne faut laisser aucune institution de côté. Mais est-ce la bonne stratégie ? De nouvelles données issues d'entretiens menés par le CGAP avec plus de 40 petites institutions financières (de microfinance et rurales) laissent entrevoir un tableau plus complexe. 

Il n'est pas surprenant que les petites institutions soient les plus contraintes par leurs capacités. Alors qu'elles servent souvent les clients les plus pauvres et les plus vulnérables, elles n'ont généralement pas les capacités financières et techniques suffisantes pour se connecter facilement aux systèmes instantanés. Plus important encore, l’intérêt stratégique de l'adhésion à une infrastructure de paiements en temps réel peut varier considérablement d'une institution à l'autre.

Les recherches du CGAP suggèrent que les petites institutions financières se répartissent globalement en trois catégories en fonction de leur état de préparation stratégique et opérationnel à l'interopérabilité.

Niveau 1 : institutions ayant un intérêt stratégique à l’interopérabilité et prêtes à se connecter

La banque de microfinance Baobab en Afrique de l'Ouest en est un exemple. Dans chaque pays où elle opère, Baobab dispose d'un responsable informatique soutenu par un centre technologique situé à Dakar. Au Sénégal, Baobab se connecte par l'intermédiaire de l'agrégateur de paiements InTouch aux grands fournisseurs de portefeuilles, tels qu'Orange Money, pour le décaissement et le remboursement des prêts. L'interopérabilité en temps réel répond à un objectif stratégique commercial immédiat, et l'organisation a la capacité technique de soutenir l'intégration. Il en va de même pour les institutions de microfinance comme la Cantilan Bank aux Philippines et Amret au Cambodge.

Cependant, les institutions comme Baobab sont plus l'exception que la règle. Ce segment supérieur représente généralement 10 % (ou moins) des organisations appartenant à la classification réglementaire de la microfinance ou de la banque rurale/de petite taille. 

Niveau 2 : institutions sur la voie, ayant un intérêt stratégique mais nécessitant un soutien  

Le deuxième niveau concerne un segment plus important (entre 40 et 60 % des petites institutions). Pour ces institutions, les paiements numériques sont une priorité stratégique claire, même s'ils ne sont pas encore une réalité. Parmi les exemples figurent Capital Finance au Niger ou Proempresa au Pérou.  

Dans ces organisations, il existe souvent déjà un premier niveau de fonctionnalité numérique. Les clients de Capital Finance peuvent suivre leurs transactions par le biais d’un service SMS, et bien que l’institution n’offre encore aucune possibilité de paiement numérique, un projet de connexion avec un fournisseur de portefeuille électronique est en cours. Les équipes techniques de ces organisations peuvent avoir une expérience de la gestion du changement, mais souvent avec un soutien important d'acteurs extérieurs.

Pour ce groupe – qui a un intérêt stratégique clair, mais pas nécessairement les capacités techniques adéquates – il est essentiel de pouvoir bénéficier d’un soutien financier et technique suffisant. La nature et le degré de l’appui fourni par les opérateurs de systèmes de paiement sont déterminants pour la réussite de la connexion d’un point de vue stratégique. 

Niveau 3 : institutions sans intérêt stratégique immédiat et sans capacités suffisantes 

Un troisième groupe, représentant entre 30 et 50 % des institutions, est formé par des organisations qui ne sont pas prêtes et n’ont pas d’intérêt stratégique à court terme à rejoindre des systèmes de paiement instantané. Ces organisations ont souvent des systèmes décentralisés par agence, peuvent ne pas être dotées de systèmes numériques et, surtout, ne considèrent pas les paiements en temps réel comme un instrument stratégique immédiat.  

L'URCLEC au Togo ou le réseau des CVECA/ON appartiennent à ce groupe. Certaines de ces institutions prévoient peut-être d'offrir une communication par SMS avec leurs clients, mais ces projets sont souvent prospectifs et ne s'étendent pas aux paiements. Comme on peut le deviner, ce groupe a également la capacité technique la plus faible et les moyens financiers les plus limités.

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Figure 1 : Types de petites institutions et capacité à rejoindre un système de paiement instantané

Soutenir les petites institutions dans leur connexion aux systèmes de paiements instantané 

Lorsqu'ils envisagent de soutenir les petites institutions dans l’accès aux paiements instantanés, les décideurs politiques et les opérateurs d'infrastructure doivent commencer par se poser quelques questions simples. Tout d'abord, où en est l’institution concernée dans son parcours de transformation numérique ? L'interopérabilité est-elle une valeur ajoutée pour ses clients à court terme ? Et si oui, ses capacités techniques sont-elles suffisantes pour intégrer cette fonction ?

Pour le premier niveau, le soutien à l'intégration peut se résumer à des orientations claires et un soutien à la gestion de projet. En termes de capacités, ces institutions ne sont pas si différentes de la plupart des banques commerciales ou des émetteurs de monnaie électronique déjà en attente d'intégration.

Pour les institutions de niveau 2 – celles qui ont un intérêt stratégique mais des capacités limitées – le soutien est essentiel. Les participants à tout système de paiement instantané doivent satisfaire à un ensemble d'exigences réglementaires, administratives et opérationnelles. Au minimum, cette participation implique d’avoir la capacité de traiter des transactions numériques en temps réel. Souvent, elle implique également de gérer les mécanismes de règlement, et de mettre à niveau les capacités de sécurité, l'expertise technique pour soutenir l'intégration et les frais généraux administratifs (reporting, rapprochements, etc.).

Il est indispensable de définir clairement les lacunes en matière de capacités et d’élaborer des plans pour les combler. Il existe souvent des dispositifs d’appui pour aider les institutions dans cette tâche. En Tanzanie, par exemple, le FENU aide les institutions de microfinance à renforcer leurs capacités lors de leur adhésion au nouveau système de paiement instantané de Tanzanie (TIPS). Africanenda, une nouvelle organisation de renforcement des capacités en Afrique, offre également ce type de soutien. Au niveau du système lui-même, des outils comme Mojaloop se concentrent sur des API plus simples et en libre-service pour faciliter l'intégration.

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Figure 2 : Exemples d'exigences pour adhérer à un système de paiement instantané

Enfin, pour les institutions de niveau 3 – celles qui n’ont ni intérêt stratégique clair, ni capacités techniques adéquates – il peut s’avérer nécessaire pour les promoteurs du projet de réévaluer leurs objectifs. Si l'interopérabilité ne s'inscrit pas dans la stratégie à court terme ni dans la réalité opérationnelle de l'institution, l'adhésion à un SPI sera probablement plus de l’ordre de l’égarement stratégique que du projet catalyseur. 

Ces trois niveaux peuvent différer légèrement selon les pays, et chaque institution se définira par son ensemble de compétences et de contraintes propres. Plus généralement, il importe de retenir qu’il n’existe pas d’approche standard ou universelle pour le déploiement de l'interopérabilité dans les petites institutions. Les décideurs politiques et les opérateurs d'infrastructure doivent tenir compte à la fois de l'alignement stratégique et de la capacité institutionnelle. 

Car l'objectif ultime ne devrait pas être de connecter tout le monde, mais plutôt d'aider chaque organisation à se développer, à s'adapter et à mieux servir les pauvres.

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