Interview FinDev

Les véhicules d'investissement en microfinance et le défi de la performance sociale

Entretien avec Loïc de Cannière d'Incofin et Christophe Bochatay de Triple Jump
Crédit photo :  Amrullah Basri Paembonan, CGAP 2016.

En offrant des services financiers à des microentrepreneurs dans des pays en voie de développement, les institutions de microfinance (IMF) s'adressent de plus en plus aux marchés des capitaux pour récolter des fonds afin d'élargir leur portée dans les régions qu'elles desservent. Les véhicules d'investissement en microfinance ou VIM sont apparus pour répondre à cette demande de capital tout en proposant un certain rendement aux investisseurs sensibles aux performances sociales.

Selon le CGAP, plus de 40% de l’investissement en microfinance se fait via les VIM. Aujourd’hui, on compte plus de 100 VIM gèrant plus de 7.5 milliards d’actifs. A l'occasion de la Semaine Européenne de la Microfinance, dont l'investissement en microfinance sera l'un des grands thèmes abordés, Loïc de Cannière d'Incofin et Christophe Bochatay de Triple Jump répondent à nos questions. 

Questions à Loïc de Cannière, Directeur Général d'Incofin

Loïc De Cannière, Directeur Général d'Incofin

Pourquoi l’émergence des VIM dans la microfinance ? Quelle(s) valeur(s) ajoutée(s) ont les VIM par rapport aux investissement directs ?

Les VIM ont une valeur ajoutée aussi bien (i) pour les investisseurs que (ii) pour les IMF : 

Les IMF sont exposées à des risques « pays » et des risques économiques non négligeables, dus à l’environnement spécifique dans lequel elles opèrent. A titre d’exemple, les IMF de l’Asie Centrale subissent actuellement les conséquences négatives des problèmes économiques, monétaires et – dans certains cas même - politiques de la région. L’avantage des VIM par rapport aux investissements directs, est que les VIM ont la capacité de diversifier leur portefeuille en termes d’exposition régionale et d’ainsi « diluer » les risques auxquels sont exposés les investisseurs.

Les gestionnaires des VIM connaissent bien le secteur et gèrent leur portefeuille de manière professionnelle et responsable : cette connaissance du secteur est bénéfique pour les IMF. En effet, les gestionnaires peuvent contribuer à disséminer les meilleures pratiques ou à appuyer les IMF en temps difficiles (plutôt que de se retirer dans des situations de stress).

Les VIM tendent à focaliser leurs financements vers les institutions les plus profitables du secteur. Or ces IMF ont davantage la capacité d’accéder à des marchés de capitaux pour obtenir des fonds. A l’inverse, des IMF ayant de bonnes performances sociales mais des résultats financiers moyens ne reçoivent pas les financements dont elles auraient besoin. Quelle pondération accordent les VIM aux critères sociaux par rapport aux critères financiers dans leur évaluation ? 

Lorsqu’Incofin investit dans une IMF, nous appliquons en parallèle un score pour le risque financier et un autre score pour la performance sociale de l’IMF. Nous n’approuverons l’investissement que si l’IMF atteint un seuil minimum indépendamment pour les deux scores. 

Ayant appliqué cette méthode depuis des années et disposant donc d’un historique très intéressant, nous constatons une corrélation positive entre la qualité du risque financier et la bonne performance sociale. Dès lors, la dichotomie entre l’aspect financier et la performance sociale est moins évidente que ce que l’on pourrait concevoir en théorie. Ceci s’explique par le fait que les IMF ayant un profil social prononcé, sont également souvent gérées par des équipes motivées, professionnelles et correctes. 

Ceci ne veut pas dire que le cas de figure de l’IMF sociale mais financièrement faible n’existe pas. Dans ce cas de figure, et pour autant que la fragilité financière peut être palliée, Incofin envisagera d’intervenir avec un projet d’assistance technique visant à fortifier la gestion financière. Incofin dispose en outre d’une modeste facilité qui lui permet de financer certaines transactions en-dessous des conditions du marché, pour autant que la plus-value de la transaction soit évidente.

On estime qu’environ 500 IMF remplissent les critères de sélection de 104 VIM. Sachant que les IMF actuellement visées appartiennent au « Tiers 1 » et que les possibilités de placement auprès de ces IMF se réduisent à mesure que de nouveaux VIM apparaissent, quel regard portez-vous sur la pérennité à long terme de l’activité des VIM ?  

Il est clair que les IMF ont de plus en plus de possibilités de se financer sur les marchés locaux, grâce à la collecte de l’épargne ou à l’émission de titres de dette sur le marché local. Ceci est une évolution très positive. Chez Incofin, nous soutenons activement la transformation des IMF en banques de microfinances et en banques commerciales, car celles-ci permettent d’offrir de meilleurs services à leur clientèle. En plus, la transformation en institution financière supervisée et l’accès à l’épargne locale garantit une meilleure qualité de services et une appartenance locale plus prononcée.

Je crois que les VIM spécialisés en dette (octroyant des crédits à des IMF) deviendront moins pertinents au fil du temps, étant donné que les ex-IMF (devenues banques de microfinance et banques commerciales) auront un accès direct à du « funding » local.

Je crois cependant que le rôle des VIM en tant que fournisseurs de capital à risque restera très important.  

Questions à Christophe Bochatay, Responsable Performance Sociale et Impact chez Triple Jump

Christophe Bochatay, Responsable Performance Sociale et Impact chez Triple Jump

Les VIM ont besoin de critères objectifs et fiables pour comparer les IMF entre elles et justifier du bien-fondé de leur investissement. Disposez-vous d’un cadre d’analyse fiable et commun à tous les VIM pour mesurer la performance financière et sociale des IMF ? De quels outils disposez-vous pour composer votre portefeuille d’investissement ? 

Pour ce qui concerne l’analyse financière, il existe un cadre d’analyse commun qui a été développé il y a plus d’une quinzaine d’années. Il n’est pas seulement utilisé par les VIM mais aussi souvent par les IMF et les autorités nationales de surveillances. Cette harmonisation facilite beaucoup la transparence et les échanges de données. Pour ce qui est de la performance sociale, l’harmonisation a été plus difficile car les critères sociaux sont plus variés et complexes qu’un simple niveau de revenue ou de capitalisation. Cependant lors de ces cinq dernières années un grand nombre de représentants du secteur ont travaillé à cette harmonisation sous la coordination de la Social Performance Task Force (SPTF). Le résultat sont les Normes Universelles de la Gestion de la Performance Sociale qui clarifient et normalisent les pratiques de gestion de la performance sociale et rassemblent l’ensemble des bonnes pratiques du secteur dans un guide très complet.

En ce qui concerne la performance sociale, accordez-vous autant d’importance aux données quantitatives – plus faciles à récolter et à utiliser – qu’aux informations qualitatives (contexte religieux, densité de la population, méthodologie de crédit, membres du CA, …) qui tiennent davantage compte du contexte dans lequel évolue l’IMF ? 

Malheureusement les données quantitatives faciles à récolter ne nous apprennent pas grand-chose sur la performance sociale d’une IMF. Prenez par exemple le nombre de prêt octroyés. Celui-ci ne nous indique pas si les emprunteurs ont pu tirer profit de leur prêt et faire grandir leur activité ou s’ils se sont au contraire surendettés. Comme dans les autres domaines du développement la mesure de l’impact est extrêmement compliquée. C’est pourquoi le secteur se concentre plutôt sur des informations qualitatives pour juger la performance sociale, en particulier sur les politiques et les systèmes mis en place par l’institution pour assurer un service adapté aux besoins de la clientèle. Nous portons donc notre attention sur les objectifs développementaux de l’institution, sa gouvernance, sa capacité à cibler une clientèle peu desservie, la qualité de ses produits et services, les moyens mis en place pour bien informer les clients sur les conditions des produits, etc. 

Les investissements des VIM sont-ils focalisés vers une ou des régions particulières ? Qu’en est-t-il pour Triple Jump ? Est-ce un parti-pris initial de l’investisseur, du VIM ou cela correspond à une tendance du secteur ?  

L’Europe de l’Est et Asie Centrale représente aujourd’hui la plus grande exposition des VIM, suivie de prêt par l’Amérique Latine. Puis viennent l’Asie, l’Afrique et le Moyen Orient. L’Afrique est le continent qui connait la plus forte croissance ces dernières années en termes d’investissements dans le secteur. Le portefeuille de Triple Jump a une allocation globalement comparable, avec cependant une exposition relativement plus élevée en Amérique Latine et en Afrique. Ceci est le résultat à la fois de la spécificité des mandats de gestion qui nous sont confiés mais aussi de notre appréciation des risques et opportunités de chaque région.


Logo de la SEM 2015

Le Portail de la Microfinance est partenaire média, comme l'an passé, de la Semaine Européenne de la Microfinance, dont le thème phare est "L'inclusion financière pour un développement durable". Parmi les nombreuses conférences prévues, les véhicules d'investissement en microfinance feront l'objet d'une session modérée par Sachin Vankalas de LuxFLAG. Loïc de Cannière et Christophe Bochatay y interviendront.

 

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