Interview FinDev

Mieux qu’un logement, un "foyer durable" pour les populations rurales du Mexique

La coopérative d'épargne et de crédit Tosepantomin a reçu le prix européen de la microfinance 2017

La Cooperativa de Ahorro y Préstamos Tosepantomin (Coopérative d’épargne et de crédit Tosepantomin, qui signifie "de l’argent pour tous" en nahuatl) a remporté le Prix européen de la microfinance 2017 (a). Ce prix récompense le soutien apporté par cette structure aux communautés rurales marginalisées grâce à ses projets de construction de logements, ses produits d’épargne et de crédit au logement et son assistance technique. Álvaro Aguilar Ayón, président du conseil d’administration de la coopérative, a répondu aux questions du Portail Microfinance sur la création de la coopérative, ses clients, le développement de produits d’épargne et de crédit pour la construction de logements durables et sur les leçons tirées de cette expérience.

1 – Pouvez-vous nous parler de votre institution, de sa mission et des clients qu’elle sert ?

La coopérative Tosepantomin a été fondée en 1998 et, en 2013, elle a obtenu la certification de la Commission nationale bancaire et des marchés financiers, l’autorité mexicaine de réglementation des coopératives d’épargne et de crédit. Nous sommes basés dans la région de la Sierra Nororiental, dans l’État de Puebla, au Mexique. Nous proposons des services financiers aux habitants de la région, qui sont en majorité des populations autochtones Nahuas et Tutunakus. À ce jour, la coopérative compte 35 000 membres, dont 78 % d’indigènes et 64 % de femmes. Nous cherchons aussi à développer une culture de l’épargne chez les enfants. Aujourd’hui, 9 000 enfants ont commencé à épargner, même s’ils ne sont pas encore membres. Nous essayons de leur inculquer la culture de l’épargne dès l’enfance afin qu’une fois adultes, non seulement ils continuent à le faire, mais aussi qu’ils puissent bénéficier d’autres services financiers proposés par la coopérative.

La mission de la coopérative Tosepantomin est d’offrir des services financiers à ses membres, pour qu’ils puissent améliorer leur qualité de vie et concrétiser "un projet de bonne vie", ce qui se dit "toyeknemilis" en nahuatl. La population de la région est en majorité autochtone, sans autre accès à des services financiers. Quand la coopérative a été créée, il existait déjà une banque dans la région, mais celle-ci n’avait jamais proposé de crédits aux habitants, elle ne faisait que collecter leur épargne. La création de la coopérative avait donc pour but de combler ce vide. Aujourd’hui, nous gérons environ 20 millions de dollars d’épargne et nous avons accordé des crédits pour un montant total de 18 à 19 millions de dollars.

2 – Votre institution vient de remporter le Prix européen de la microfinance 2017 pour son soutien aux communautés rurales mexicaines marginalisées par le biais de projets de construction de logements qui fournissent des produits d’épargne et de crédit au logement couplés à de l’assistance technique. Quelles sont les caractéristiques de ces produits ? Et pourquoi avoir décidé de les proposer ?

Nous avons décidé de lancer des produits d’épargne et de crédit au logement parce que nous considérons que toute institution financière doit offrir des services correspondant aux besoins de la population qu’elle sert. Dans notre région, la plus grande partie des habitants ne disposait pas d’un logement correct. C’est pour cela que, dès la création de la coopérative, nous avons proposé des crédits à ceux qui souhaitaient améliorer leur habitat. Cependant, depuis 2006, nous avons choisi d’aller plus loin et de proposer aussi des financements pour la construction de maisons neuves, car la majorité de nos membres ne vivait pas dans un logement adapté aux conditions climatiques de la région.

Nous sommes partis du principe qu’en plus de collecter l’épargne de nos membres, nous pouvions leur proposer un crédit et, en gérant à la fois cette épargne et ces crédits, nous pouvions nous adresser à un organisme d’État pour que nos membres obtiennent une subvention leur permettant de construire une maison. Ce service existe depuis 2006 et, à ce jour, plus de la moitié de nos membres en ont bénéficié. Dans le cadre de notre programme, ce n’est pas la coopérative qui construit la maison, mais nous mettons en œuvre ce que nous appelons la "construction sociale de logements". Ainsi, la famille choisit où elle veut construire, les matériaux à utiliser, les plans de la maison, et aussi les personnes à qui elle souhaite confier la construction. Nous veillons à garantir que le chantier se déroule dans de bonnes conditions, que la construction soit de qualité et, surtout, que la famille économise le plus possible sur les matériaux. C’est pourquoi nous proposons une assistance technique : une équipe d’architectes discute avec la famille du projet de construction, dessine les plans et établit le budget. La construction commence ensuite et nous avons aussi une équipe de "superviseurs" qui, chaque semaine, se rend sur les chantiers pour vérifier que les plans de construction sont bien respectés. Et ce suivi continue jusqu’à la fin de la construction.

3 – Pouvez-vous nous expliquer les techniques de construction respectueuses de l’environnement que la coopérative met en œuvre ? En quoi sont-elles innovantes ?

Quand nous avons lancé le programme d’aide au logement, nous nous sommes fixé un objectif : proposer à nos membres de transformer leur logement en un "foyer durable", c’est comme cela que nous l’appelons. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien nous l’appelons "foyer" parce que, à nos yeux, une maison ne se limite pas à quatre murs, un sol et un toit. L’harmonie entre les personnes qui y vivent, les membres de la famille, cela en fait aussi partie et cette chaleur humaine, c’est de notre point de vue ce qui transforme un logement en foyer.

Et ce foyer est "durable" parce que nous cherchons à ce que les familles utilisent les ressources naturelles qui existent dans la région, qui est l’une des plus humides du pays. Donc puisqu’il pleut autant, nous avons eu l’idée d’utiliser les toits des maisons pour récupérer l’eau de pluie et la réutiliser au sein du foyer. Ensuite, les eaux usées sont traitées grâce à des filtres et des biodigesteurs afin qu’elles ne polluent pas les cours d’eau.

Nous nous sommes aussi demandé comment nous pourrions mieux utiliser l’énergie. Et pour que cette utilisation soit plus efficace, nous appliquons plusieurs méthodes. La première concerne le combustible utilisé pour cuisiner et, dans notre région, c’est surtout le bois. Nous avons alors pensé installer des poêles écologiques dans les logements, qui permettent de limiter la consommation de bois et d’éviter aux familles des respirer les fumées dégagées par les feux de cheminée. Deuxième méthode d’utilisation efficace de l’énergie : l’installation de panneaux solaires pour produire l’énergie électrique nécessaire à une famille. Enfin, étant donné que la plupart des familles travaillent aux champs, nous les avons incitées à utiliser les déchets agricoles et alimentaires comme engrais organique pour des cultures vivrières. Toutes ces méthodes contribuent à concrétiser ce que nous appelons le foyer durable.

Le concept de foyer durable suppose donc de préserver l’environnement et c’est ce que nous faisons en utilisant l’eau de pluie, en traitant les eaux usées, en utilisant efficacement l’énergie, en transformant les déchets en engrais organique et en favorisant les cultures vivrières pour moins dépendre de l’extérieur pour l’alimentation quotidienne.

Toutes ces méthodes sont déjà appliquées, la dernière en date étant l’installation de panneaux solaires. C’est d’ailleurs cet aspect que nous pensons développer le plus à l’avenir, aussi bien pour installer des panneaux solaires dans les maisons qui seront construites que pour en équiper les logements existants.

4 – Pensez-vous que d’autres coopératives et/ou institutions de microfinance du Mexique devraient offrir des produits similaires à leurs clients disposant de peu de revenus ? Quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Ce que nous avons appris, depuis bientôt 20 ans que la coopérative existe, c’est qu’une organisation de microfinance doit veiller à ce que ses produits soient adaptés aux besoins de ses membres. Et au Mexique, dans les zones habitées par les populations autochtones, le plus grand besoin des familles est d’avoir un logement correct. Puisque c’est un besoin essentiel, je crois que toutes les organisations qui travaillent dans les régions rurales indigènes comme dans les grandes villes devraient s’attacher à offrir des services de financement du logement, de préférence en y intégrant le concept très utile de durabilité. Au Mexique, il y a encore près de neuf millions de familles qui n’ont pas de logement correct. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans le pays.

 

Ce que nous avons appris, depuis bientôt 20 ans que la coopérative existe, c’est qu’une organisation de microfinance doit veiller à ce que ses produits soient adaptés aux besoins de ses membres.

Nous avons aussi appris que proposer des crédits parallèlement aux services d’épargne pour construire des maisons est tout à fait adapté aux familles, c’est quelque chose qu’elles peuvent faire. Ce n’est pas si simple, car quand on parle de finances, on a l’habitude de proposer un service déconnecté du reste. Mais nous, avec le concept de foyer durable, nous englobons l’épargne, le crédit au logement et pour la production alimentaire, et le crédit pour les panneaux solaires. C’est un service bien plus global que ce qui est habituellement proposé sur le marché.

 

Notre but est d’ancrer profondément une culture de l’épargne, du remboursement et de la préservation de l’environnement dans notre région. Nous expliquons inlassablement que, de même que notre maison doit devenir un foyer durable – là où vivent les familles –, le territoire sur lequel nous vivons doit être considéré comme la maison de tous les habitants de la région. Et par conséquent, nous devons tout faire pour que cette "grande maison commune" soit préservée.

5 – Comment la coopérative compte-t-elle utiliser les fonds alloués par le Prix européen de la microfinance ?

Quand nous avons préparé le dossier de candidature à ce prix, nous avions prévu d’utiliser les fonds dans deux domaines. D’une part, pour réaliser une évaluation du programme d’aide au logement de la coopérative, et tout particulièrement de son impact social. Jusqu’à présent, nous n’avons pas effectué d’évaluation globale de cet impact, mais nous souhaitons connaître le degré de satisfaction de nos membres et recueillir leurs observations pour améliorer nos services. D’autre part, nous aimerions, si possible, construire une usine d’assemblage de panneaux solaires et former des jeunes pour ce travail. Nous proposerions alors un nouveau crédit destiné aux personnes désireuses d’installer des panneaux solaires dans la région.

6 – Quelle a été votre réaction lorsque vous avez remporté le prix ? Vous pensiez que la coopérative avait ses chances ?

Pour moi, c’était inespéré, car même si nous étions parmi les trois finalistes, les deux autres étaient des banques alors que nous ne sommes qu’une coopérative d’épargne et de crédit. L’une des banques propose des crédits au logement en Afghanistan, en zone de guerre. L’autre, une banque du Pérou, accorde chaque mois des milliers de crédits à toute la population péruvienne.

En tant que coopérative, notre périmètre d’action est plus réduit et nous pensions que nos chances de remporter le prix étaient minces. Alors quand le nom du gagnant a été dévoilé, cela a été un grand moment de joie. Ce prix marque la reconnaissance de la coopérative en Europe, où nous n’avons pas de clients. Nous n’avons que des membres, et ce sont eux qui sont les propriétaires de l’institution. Je suis par conséquent très heureux, car ce prix récompense non seulement le travail de Tosepantomin, mais il reconnait aussi l’importance de l’action des coopératives de microfinances du monde entier.

 

 

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