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Les pièges de la digitalisation des IMF : s'enliser dans la technologie

Utilisateurs d'application mobile à Bamako, Mali.

Si vous observez attentivement les innovations récentes dans le domaine des services financiers pour le marché de masse, vous verrez des nouveautés technologiques impressionnantes. Ce que vous ne verrez pas en revanche, c'est comment les entreprises ont transformé ces technologies en produits numériques adaptés. Et si vous êtes une institution de microfinance (IMF) qui observe le marché dans la perspective de proposer ses propres produits digitaux, ne pas voir l’essentiel pourrait bien vous mener à l’échec.

La plupart des institutions financières, y compris les IMF, vont acquérir de nouvelles technologies pour développer des produits et services numériques à grande échelle. Des entreprises comme Tymebank démontrent avec quelle rapidité les banques du marché de masse peuvent accroître leur portée avec un pack technologique moderne – en l’occurrence, une architecture de microservices basée sur le cloud et pilotée par API. Mais les grands changements technologiques sont très difficiles à mettre en œuvre pour les banques, en particulier pour les IMF. Se précipiter sur des solutions technologiques sans avoir la capacité institutionnelle en place pour les exploiter est une erreur courante dans la transformation digitale des IMF. Comme l'ont découvert certaines entreprises à leurs dépens, une nouvelle technologie mal mise en œuvre peut facilement détruire plus de valeur qu'elle n'en crée.

Le recours à des produits minimums viables (Minimum Viable Products, MVP) dans les premières phases d'innovation technologique est le meilleur moyen pour la plupart des IMF de tester et d’adapter les solutions digitales, d'investir dans le renforcement des capacités institutionnelles au fur et à mesure du développement des solutions, et de se donner les moyens de réussir.

Alors comment procéder pour créer de bons produits digitaux ?

Tout changement apporté aux produits ou aux processus opérationnels d'une IMF doit créer de la valeur – tant pour les clients que pour l'entreprise. C'est précisément là que de nombreuses initiatives technologiques coûteuses et délicates échouent. Très souvent, les entreprises consacrent des ressources substantielles à tenter de mettre en œuvre une solution technologique complexe, pour finalement se rendre compte que le résultat en termes de création de valeur ne justifie pas les efforts déployés. D’après mon expérience auprès des banques, des IMF et des opérateurs de réseaux mobiles, cet échec tient principalement au fait que les entreprises n'ont pas la culture de management, les compétences informatiques ou l'expérience du développement de produit nécessaires pour monétiser la technologie qu’elles s’efforcent de mettre en œuvre.

L'un des aspects les plus importants – pourtant souvent négligé – pour la conception de bons produits digitaux est de disposer des bonnes compétences au sein de l'équipe produit. Les chefs de produit doivent diriger les équipes produit de la phase de développement jusqu’à la mise en marché. Lorsqu’il s’agit de produits digitaux, ils doivent pour cela acquérir les connaissances et les compétences informatiques nécessaires pour diriger les processus de conception du produit et de développement technique à l’aide d’une méthode agile. Lorsque la mise en œuvre de la solution technologique est compliquée ou fortement dépendante de l'assistance des fournisseurs, l’équipe produit n’est pas en mesure de diriger le processus. La complexité a tendance à faire remonter la prise de décision vers la direction générale ou le département informatique, voire vers le fournisseur. Cette situation nuit à la capacité de l'équipe produit de procéder rapidement par itération sur la base de décisions prises suivant une méthode de conception agile du produit.

L'un des aspects les plus importants – pourtant souvent négligé – pour la conception de bons produits digitaux est de disposer des bonnes compétences au sein de l'équipe produit.

Souvent, les IMF doivent également changer leur culture de management. La direction générale doit soutenir les chefs de produit en tant que principaux décisionnaires en matière de développement et de commercialisation des produits. Confier la responsabilité aux chefs de produit signifie que le personnel d'autres départements de la banque, en particulier les départements informatique, risque et conformité, doit travailler dans les équipes produit. Ce changement est particulièrement difficile pour les cadres dirigeants habitués à dicter leurs directives aux équipes commerciales. Le défi est plus important encore pour le PDG, qui doit accompagner le changement de l’entreprise vers une culture de management plus agile.

Il est tentant pour l'équipe de direction d'une IMF de penser qu'elle peut acquérir la technologie et développer progressivement les compétences requises tout en adaptant ses pratiques de management dans le temps. Mais le cycle d'apprentissage des déploiements technologiques classiques est trop long. Les entreprises qui tentent de mettre en œuvre une technologie avant d'avoir mis en place la culture de management, les compétences informatiques et les pratiques de développement de produit nécessaires sont souvent confrontées à des échecs coûteux et chronophages qui génèrent des frustrations au sein de l'entreprise.

La solution consiste à réduire la complexité technologique, à se concentrer sur le processus de développement de produit et à raccourcir le cycle d'apprentissage. L’approche MVP (produits minimums viables, Minimum Viable Products) permet aux entreprises de se doter plus facilement des compétences nécessaires pour traduire une solution technologique en création de valeur. Autre avantage, le processus MVP sensibilise également les cadres supérieurs aux grands changements institutionnels ou de personnel nécessaires à des mises en œuvre plus ambitieuses.

Automatisation de l’octroi des prêts : l’approche MVP

Prenons un exemple concret pour mieux comprendre cette approche. De nombreuses IMF sont intéressées par l'automatisation de l'octroi des prêts. L'une des options possibles consiste à engager une société tierce pour concevoir un modèle de notation de crédit, un moteur décisionnel et une application pour les clients. Les coûts de développement, le partage des revenus et les délais associés à cette solution sont souvent importants. Dans un grand nombre de cas, l’IMF chargera son département informatique de piloter la collaboration avec la société prestataire pour gérer les aspects d'intégration, de sécurité et de transfert de données de la plateforme de prêt. Avec cette approche, la création de la version initiale de la solution peut facilement prendre 9 à 12 mois. Souvent, cette version n'est qu'une réplique digitale des règles opérationnelles et des flux de processus existants, désormais intégrés dans une plateforme contrôlée par un fournisseur qui facturera les modifications ultérieures. Plus important encore, cette approche empêche souvent la phase initiale de développement de produit en relation directe avec le client, qui est plus importante pour le succès commercial futur de cette mise en œuvre.

Il existe une autre approche qui se concentre davantage sur les premières phases de développement et de validation du produit. Dans cette approche, l'équipe produit d'une IMF teste un produit minimum viable (MVP) auprès des clients pour valider leur adhésion, en utilisant une technologie très simple. Au cours de cette phase, le marketing, la stratégie de marque, les interfaces client et les conditions générales peuvent être affinés. Les flux de processus sont également élaborés au fur et à mesure de la transition du processus traditionnel décentralisé d’octroi de prêts, basé sur les agents de crédit, vers un flux centralisé et automatisé. Cette approche permet de régler de nombreux détails opérationnels et de prendre l’avis du département des risques sur tous ces aspects. Ces développements et ajustements peuvent être effectués alors que le nouveau modèle décisionnel d’octroi est mis en œuvre manuellement sur une feuille de calcul et que les décaissements de prêts sont traités manuellement par lots.

D'après mon expérience, cette deuxième approche présente plusieurs avantages importants pour les institutions financières. Premièrement, elle permet de valider les choix clés de conception qui détermineront la valeur du produit pour le client et l'entreprise avant d’engager un investissement important. Deuxièmement, elle permet de produire des spécifications testées pour le produit et le flux de processus qui seront utiles à la création de la plateforme automatisée. Et enfin, elle renseigne sur la capacité des différentes parties de l'IMF à travailler suivant une méthode de développement de produit agile.

La plupart des institutions financières devront apporter des changements significatifs à leurs compétences et à leur culture de management pour créer de la valeur à partir des technologies émergentes. Les entreprises qui développent des MVP et consacrent des efforts en amont à développer ces nouvelles capacités créeront de la valeur plus rapidement que celles qui adoptent des technologies complexes avant d'être prêtes.

 

S’enliser dans le déploiement technologique est un écueil courant dans la transformation digitale des IMF, mais ce n'est pas le seul. Pour en savoir plus sur d'autres problèmes courants mais évitables, consultez les autres articles de notre série en cours, « Les pièges de la digitalisation des IMF : quels sont-ils et comment les éviter ? ». Découvrez également la publication en anglais du CGAP Digitization in Microfinance : Case Studies of Pathways to Success, qui s’intéresse plus en détail au parcours de plusieurs IMF qui ont réussi leur digitalisation.

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