Interview FinDev

Madagascar : risques et succès du microcrédit agricole

Des solutions innovantes comme la microfinance digitale ou la microassurance agricole pour soutenir les agriculteurs
Serge Rajoanarison

Serge Rajoanarison, directeur général de la caisse d'épargne et de crédit agricole mutuels de Madagascar (CECAM).

L’accès au crédit et au microcrédit agricole reste problématique dans bien des pays du Sud, notamment pour les petites exploitations les plus vulnérables. À Madagascar, la faiblesse des infrastructures rurales, le niveau important de pauvreté et la fréquence des aléas climatiques (sécheresses, inondations) compliquent d’autant plus le développement agricole du pays. Mais des solutions innovantes se développent. Parmi elles, la microfinance digitale ou la micro-assurance agricole basée sur des données météorologiques. Des innovations qui intéressent particulièrement Serge Rajaonarison, directeur général de la Caisse d’épargne et de crédit agricole mutuels de Madagascar (Cecam).

Comment expliquez-vous l’inadéquation entre l’offre et la demande de crédit et microcrédit agricole ?

Je ne suis pas certain qu’on puisse parler d’inadéquation dans le cas précis de Madagascar. Pour mémoire, notre réseau de 1 100 employés dessert 208 000 clients à travers 233 points de vente établis dans 20 des 22 régions du pays. Nos clients sont pour la plupart producteurs de riz (une culture qui représente 70 % de l’activité agricole à Madagascar) et éleveurs. Selon le ministère de l’Agriculture, la Cecam détient 60 % des parts de marché du crédit agricole via la microfinance.

 

Notre principal problème, en réalité, relève de la faiblesse des infrastructures rurales et des intempéries.

Notre principal problème, en réalité, relève de la faiblesse des infrastructures rurales et des intempéries. La Grande Île, comme on la surnomme à juste titre, représente un vaste territoire où il demeure risqué de mettre en œuvre des crédits ruraux. En effet, des sécheresses peuvent sévir au sud, tandis que les régions du nord et du centre souffrent d’inondations.

Les infrastructures agricoles et rurales se font rares. Quand elles existent, elles s’avèrent globalement peu fonctionnelles ou pas assez entretenues. En dehors des routes nationales, par exemple, le réseau de pistes secondaires reste très accidenté et n’est pas toujours accessible en période de pluie. Des équipements d’irrigation font défaut, ou sont pénalisés par l’ensablement des rivières et le mauvais fonctionnement des barrages. L’accès à l’électricité, au téléphone et aux nouvelles technologies reste limité. Plutôt que d’inadéquation, mieux vaut parler d’adaptation à Madagascar, pour faire concorder l’offre et la demande de crédit et microcrédit agricole.

Quels sont vos prêts moyens et obtenez-vous de bons taux de remboursement ?

Notre crédit individuel moyen est d’environ 300 euros. Il peut aller de petites sommes (15 euros pour des groupements de femmes) jusqu’à un maximum d’environ 25 000 euros afin d’accompagner la croissance des agriculteurs professionnels et matures.

En 2013, le cyclone Haruna a détruit la partie sud de l’île, laissant la population démunie. Mais nous avons constaté que des femmes, même sans abri et sans ressources, se servaient d’une partie de l’aide très faible reçue des organisations internationales après la catastrophe pour venir rembourser leurs dettes. D’abord, pour démontrer leur volonté de respecter leurs engagements, mais aussi pour ne pas rompre la relation professionnelle établie progressivement avec la Cecam.

Pour nos crédits et microcrédits agricoles, nous obtenons des taux de remboursement conformes aux normes internationales, qui nous permettent de réinvestir notre excédent d’exploitation dans nos activités, en étendant nos zones d’intervention et en proposant des produits innovants. Cela étant, nos propres besoins d’investissement restent importants : nous devons par exemple électrifier, par le biais de kits solaires, nos points de vente, et acquérir des solutions technologiques pour rendre un service de proximité efficace.

Comment mieux gérer les risques ?

L’idéal serait que des investissements significatifs soient faits, avec l’appui des bailleurs de fonds, pour que l’État construise des infrastructures en état de marche et pérennes. Des efforts ont été faits, mais leurs résultats n’atteignent pas encore la majorité rurale.

La micro-assurance agricole, qui reste à développer à Madagascar, pourrait préserver au moins une partie des engagements financiers des institutions de microfinance (IMF) et des clients. C’est un projet qui revêt un caractère primordial.

Par ailleurs, nous réfléchissons à des stratégies de diversification pour mitiger nos risques. Cela étant, notre mission principale consiste à rester dans le monde rural, qui représente 90 % de nos activités.

Quels pays vous paraissent exemplaires en termes de crédit et microcrédit agricole ?

Le Maroc, que nous avons découvert à l’occasion de la seconde édition de l’Atelier technique des décideurs de la finance agricole, organisé en septembre par l’Agence française de développement (AFD) à Rabat. Le royaume chérifien innove de façon intéressante dans l’agribusiness et les énergies renouvelables, avec notamment la centrale solaire de Ouarzazate. L’État soutient les agriculteurs qui veulent innover, leur permettant ainsi de passer à l’irrigation au goutte-à-goutte pour un certain nombre de cultures, un point très positif. Autre signe de résilience : le Groupe Crédit agricole du Maroc (GCAM) s’est trouvé, à un moment donné, confronté à une situation financière délicate. Mais avec un repositionnement stratégique adéquat, cette banque est aujourd’hui très rentable. Afin de préserver sa mission sociale, elle a réorganisé sa branche microfinance.

En matière de microfinance rurale, le contexte africain présente les mêmes difficultés un peu partout. En revanche, en France, le crédit agricole se fait de manière confortable. Dans une région telle que la Picardie, que j’ai visitée, toutes les structures et les acteurs sont réunis pour obtenir de bons résultats – sans parler des subventions à l’agriculture.

Quelles sont, selon vous, les trois innovations les plus prometteuses en matière de microfinance ?

La première porte sur la microfinance digitale, qui permet d’avoir un impact fort en termes d’inclusion financière. La microfinance opère selon deux logiques. La première, sociale, vise à servir les exclus du système bancaire classique. La seconde, économique, doit faire en sorte que l’IMF reste viable. La microfinance digitale pourrait nous permettre de maximiser la taille de notre clientèle cible, et donc d’améliorer l’inclusion financière. Bien sûr, cela suppose de déployer d’importants moyens avec les bailleurs de fonds, pour que les perspectives offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication soient totalement opérationnelles. L’objectif serait d’investir dans les solutions de banque à distance, sur lesquelles nous avons initié une première expérience en 2011.

Deuxième innovation intéressante : la micro-assurance agricole, selon des systèmes qui reposent sur l’indice météorologique. Si l’on détermine de manière exacte les localités et les exploitants touchés par la grêle, par exemple, on pourra ensuite indemniser conformément aux pertes occasionnées. À mon sens, c’est un volet essentiel de l’innovation à mettre en œuvre à Madagascar. Le fait que les femmes démunies aient continué à rembourser leurs dettes après le passage du cyclone en 2013 nous montre que la micro-assurance agricole peut fonctionner. Il s’agit de sortir les petits exploitants du cercle vicieux de la pauvreté, en les assurant de la pérennité de leur outil de production.

Enfin, financer la chaîne de valeur agricole reste l’une de nos priorités. Nous essayons de trouver le bon mécanisme pour améliorer l’existant, avec des partenariats public-privé. Dans le cadre de nos partenariats internationaux, nous avons signé le 21 novembre 2016 un mémorandum avec le GCAM, en présence du président de Madagascar et du roi du Maroc, en vue de partager nos expertises et mettre nos actions en synergie, pour maximiser l’inclusion financière et permettre à toute une frange de la population laissée à l’écart de toute dynamique économique de recouvrer sa dignité.

Cette interview a été initialement publiée sur le site Idéés Pour le Dévelopment en juin 2017.

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