Interview FinDev

L'Humain est au cœur de la digitalisation des chaînes de valeur agricoles

SAM 2021 : Hedwig Siewertsen d'AGRA revient sur les solutions digitales pour le financement des chaînes de valeur agricoles
Hedwig Siewertsen

Hedwig Siewertsen est responsable de la finance inclusive à AGRA (Alliance pour la révolution verte en Afrique). AGRA est une institution centrée sur les agriculteurs, dirigée par des Africains et axée sur des partenariats qui vise à rendre les services financiers accessibles et abordables pour les PME agricoles et les petits exploitants agricoles dans 11 pays d'Aftrique. Avant de rejoindre AGRA, Hedwig était PDG d'un fonds d'impact qui investit dans les PME d'Afrique de l'Est. Elle a également été directrice adjointe et consultante senior chez Triodos Facet (aujourd'hui Palladium), une société de conseil spécialisée dans le développement de l'entrepreneuriat et la prestation de services financiers aux MPME des marchés émergents. Elle est titulaire d'une licence en agriculture tropicale et d'un master en économétrie.

 

Portail FinDev : Lors de la Semaine Africaine de la Microfinance (SAM), vous avez animé un panel dédié à la transformation digitale des chaînes de valeur agricoles. Quels sont les points importants à retenir ? 

Hedwig Siewertsen : Depuis une quinzaine d'année, la transformation numérique est un sujet clé pour la finance inclusive agricole et rurale. L'un des aspects les plus intéressants discutés lors du panel est le paradoxe selon lequel les processus de digitalisation fonctionnent mieux lorsqu'une forte composante humaine est maintenue. Nous l'avons également observé à AGRA. La présence d'agro-commerçants, d'institutions de microfinance et d'autres prestataires sur le terrain est cruciale pour entrer en contact avec les agriculteurs et pour créer la confiance nécessaire à toute collaboration.

Des contacts en personne sont souvent également nécessaires pour présenter aux agriculteurs de nouveaux outils et pour garantir une alphabétisation numérique de base. La technologie a un énorme potentiel pour rendre les processus plus efficaces, évolutifs et rentables, mais selon notre expérience, sa mise en œuvre requiert une relation humaine existante pour maximiser son potentiel.

Portail FinDev : Il est intéressant de noter à quel point l'interaction en personne reste essentielle. Cependant, nous savons combien il peut être coûteux d'assurer une présence sur le terrain, surtout dans les zones isolées.

Hedwig : Le coût des agents sur le terrain est sans aucun doute un aspect crucial et lors du panel, nous avons discuté de l'intérêt de partager des réseaux d'agents. De nombreuses organisations, notamment des banques, des entreprises de télécommunications et des vendeurs de biens de consommation courante, expérimentent cette stratégie depuis un certain temps et ont obtenu de bons résultats.

Une autre solution consiste à encourager l'agrégation de la demande des agriculteurs individuels par le biais de coopératives ou d'autres organisations formelles et informelles. Par exemple, AGRA travaille souvent avec des organisations villageoises pour évaluer les besoins collectifs des agriculteurs vivant dans le même village.

L'un des aspects les plus intéressants discutés lors du panel est le paradoxe selon lequel les processus de digitalisation fonctionnent mieux lorsqu'une forte composante humaine est maintenue.

Un autre panéliste, Arnaud de Lavallette d'ADA, a présenté une structure plus formelle basée sur la plateforme web d'ADA F 2.0, qui vise à permettre à de petits groupes d'agriculteurs de recevoir des prêts sur mesure qu'ils remboursent en nature avec une part de la récolte. La plateforme met en relation des groupes d'agriculteurs avec des IMF pour mieux répondre aux besoins spécifiques de ces petits groupes, contribuant ainsi à accroître l'inclusion financière des petits exploitants. Ce modèle réduit également les risques opérationnels et rend les services des IMF plus efficaces et plus ciblés, car les prêts sont personnalisés en fonction de la demande de chaque groupe de petits exploitants.

Une autre option efficace consiste à fournir aux agriculteurs un ensemble de produits et de services interdépendants au lieu d'avoir des agents spécialisés pour un seul produit. C'est l'expérience de Francis Obirikorang, PDG d'AgroCenta, qui est également intervenu dans le panel. Grâce à un réseau de kiosques multifonctions et à une plateforme numérique, AgroCenta fournit des informations sur le marché, des solutions de stockage, de livraison et des services financiers aux petits exploitants ghanéens. En combinant des outils numériques avec une présence physique, ils sont également en mesure d'augmenter leur efficacité.

Portail FinDev : La clé est donc de créer des liens entre tous les acteurs de la chaîne de valeur agricole et d'utiliser la technologie pour rendre ces échanges plus intenses et efficaces.

Hedwig : Exactement. Pour les petits agriculteurs, il est essentiel d'avoir accès à des intrants et pour cela, ils ont besoin de crédit. Cependant, leur résilience dépend de leur capacité à accéder au marché. Obtenir des crédits sans savoir s'ils pourront vendre leur production ne fait que les rendre plus vulnérables. Ainsi, AGRA rassemble des revendeurs agricoles, des institutions de microfinance, des agriculteurs et des acheteurs avant la saison de plantation, afin que les agriculteurs puissent commencer la saison avec des accords d'achat déjà en place. Alors que le prix final est déterminé par le marché au moment de la récolte, tous les autres aspects sont définis dans l'accord et il est dans l'intérêt de chaque partie de le respecter. Une fois que chacun est satisfait du résultat des discussions en personne, les plateformes numériques facilitent les échanges et rendre le processus plus efficace.

Il faut garder en tête que les chaînes de valeur agricoles ne fonctionnent que si tous les aspects sont pris en considération.

Portail FinDev : Quelles autres solutions permettent de renforcer la résilience des petits agriculteurs ?

Hedwig : Je pense que la micro-assurance devrait de plus en plus être au cœur de ces discussions, au niveau des IMF mais aussi des régulateurs. Malheureusement, ce service est encore peu utilisé alors que la micro-assurance peut jouer un rôle fondamental dans la protection des petits producteurs vulnérables, en particulier ceux confrontés à des défis supplémentaires en raison du changement climatique.

Enfin, il faut garder en tête que les chaînes de valeur agricoles ne fonctionnent que si tous les aspects sont pris en considération. Cela signifie que nous devons nous assurer que les petits producteurs ont un accès facile à la fois à des intrants de qualité et aux marchés. La diversification est essentielle pour accroître la résilience : plus le choix d'intrants pour les agriculteurs est grand et plus ils ont accès aux marchés, mieux c'est. 

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Elhadji Abdou GUEYE , Sénégal
28 mars 2024

le micro-leasing a été développé avec des institutions financières pour répondre à la demande des petites exploitations agricoles

Abdoulaye SANGARE , RAS, Mali
01 février 2022

C'est une bonne analyse. La microassurance est encore en phase reflexion dans nos réseaux. Il faut un coup accélérateur.

Ndéné Mbaye , Acteur actif de la microfinance, Sénégal
16 janvier 2022

La problématique, en Afrique subsaharienne, réside dans le fait que la microfinance s'adresse aux petits agriculteurs et ne parvient pas à répondre à leurs besoins de financement de leurs investissements en matériels agricoles, pour augmenter leurs productions.

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