Interview FinDev

Renforcer l’impact par la transformation digitale en Afrique

Focus sur l’Accélérateur de transformation digitale (DTA) de Triple Jump
Juan Luis Podesta

Juan Luis Podesta est le responsable du programme d'assistance technique de Triple Jump. Il soutient les initiatives de transformation numérique par le biais de modèles innovants et de mise à l'échelle. Juan Luis a 16 ans d'expérience dans le conseil aux prestataires de services financiers au niveau international pour IFC, I-Dev International et EFL Global. Juan Luis est titulaire d'un MBA de la McCombs School of Business et d'un BSc en économie de l'Université de Lima.

Portail FinDev: Triple Jump a lancé l’Accélérateur de transformation digitale (Digital Transformation Accelerator, DTA) pour aider les prestataires de services financiers à optimiser leur transformation digitale. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif ?

Juan Luis Podesta : Nous avons constaté que les prestataires de services financiers (PSF) ne parvenaient pas toujours à tirer pleinement parti de leur transformation digitale. Certaines institutions s’engageaient dans ce processus sans vision ni objectifs clairs, ou répétaient les mêmes erreurs que d'autres PSF avant eux, manquant ainsi des opportunités.

Avec l’Accélérateur de transformation digitale (DTA), notre objectif est d'aider les institutions à mettre en œuvre leur transformation digitale plus rapidement, à moindre coût et avec plus d'impact, tant au niveau de l'institution que du client. Le tout en respectant les trois aspects essentiels du déploiement numérique :

  • Le délai de mise sur le marché : les solutions doivent être lancées au bon moment, c'est pourquoi il est important de suivre les tendances du marché et d'écouter les bénéficiaires de services financiers et non financiers ;
  • Les ressources : les prestataires de services financiers (PSF) doivent établir des priorités dans l'affectation de leurs ressources, car celles-ci sont limitées ;
  • L’impact : la transformation digitale doit s’appuyer sur une vision ou un objectif clair, qu'il s'agisse de croissance de l’activité ou d'amélioration de l'expérience client. Elle ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen pour atteindre les objectifs stratégiques de l'institution.

Portail FinDev : Concrètement, quel type d'assistance technique fournissez-vous aux PSF ?

Diagnostic numérique : le DTA aide les prestataires de services financiers à évaluer leur niveau de maturité numérique et à établir leur base de référence. L'objectif est d'identifier les possibilités d'amélioration dans quatre domaines principaux : stratégie et structure, client et proposition de valeur, personnel et capacités, et technologie et données.

Stratégie et feuille de route numériques : la stratégie numérique permet d'identifier les besoins, et de les hiérarchiser en fonction de leur impact, de leur viabilité et de leur faisabilité, afin de mieux allouer les ressources et de définir la meilleure voie à suivre pour progresser dans la transformation digitale. Par exemple, nous fournissons une analyse du marché des solutions digitales et des concurrents, une analyse de rentabilité, une cartographie du parcours client, une feuille de route numérique et un transfert de connaissances.

Conception et mise en œuvre des solutions digitales : nous nous efforçons d'améliorer l'adoption des services par les clients en centrant la conception sur l'utilisateur, et de créer de la valeur dès le départ en utilisant des méthodologies agiles. Nous appuyons le processus de pilotage des solutions, leur déploiement, ainsi que l'évaluation financière et l’évaluation d'impact. Le DTA aide à mettre correctement en œuvre les canaux et produits digitaux et fournit des conseils sur la mesure de la performance des solutions déployées.

Formation et coaching : la plupart de nos services comportent un volet de transfert de connaissances afin de garantir que les capacités restent au sein de l’institution. La transmission des connaissances se fait par le biais de formations sur site et en ligne, et par le coaching. En exploitant ces enseignements, les PSF sont en mesure de s’approprier leur processus de transformation digitale.

Les objectifs de la digitalisation varient selon les institutions, mais ils ne sont pas toujours clairs. Développer une stratégie numérique aide à définir ces objectifs.

Portail FinDev : Quel est le niveau de digitalisation des PSF avec lesquels vous travaillez actuellement en Afrique ? Quels objectifs cherchent-ils à atteindre avec leur transformation digitale ?

Juan Luis Podesta : Nous avons interrogé 89 bénéficiaires d'investissements dans différentes régions avant et pendant la pandémie, dont 18 institutions financières en Afrique. Nous avons constaté que l'Afrique compte le pourcentage le plus élevé d'institutions amorçant leur transformation digitale : 89 % des institutions que nous avons interrogées dans la région sont, selon la définition de Triple Jump, des institutions "débutantes" ou "novices" sur le plan numérique. Cela signifie qu’elles ont encore très peu de projets numériques et présentent un niveau d’automatisation des processus faible à modéré, avec une grande marge d'amélioration. Certaines institutions ne possèdent aucun processus numérisé, ce qui est peu courant dans d'autres régions.

Les objectifs de la digitalisation varient selon les institutions, mais ils ne sont pas toujours clairs. Développer une stratégie numérique aide à définir ces objectifs. Dans la région AMO, 56 % des entreprises interrogées ont une stratégie numérique et seulement 6 % prévoient d'en élaborer une. Dans certain cas, la pandémie a suspendu ces stratégies et réorienté les efforts sur la mise en œuvre de solutions répondant aux besoins urgents. Environ 56 % des institutions interrogées ont déclaré avoir partiellement automatisé leurs processus, et 34 % l'avaient fait en grande partie ou en totalité.

En Afrique, la majorité des PSF s'intéressent surtout au développement de canaux alternatifs tels que les applications mobiles et les services bancaires par agent, ainsi qu'à l'analyse des données, utile à la veille commerciale et à l'évaluation du crédit.

La plupart des institutions ont en commun la crainte que la digitalisation augmente les risques en matière de fraude et de cybersécurité et leur fasse perdre le contact avec leurs clients et leur mission. C’est ce qui empêche beaucoup d’entre elles de procéder à une digitalisation complète. Ce phénomène s’observe dans toutes les régions.

Portail FinDev : Quels sont les principaux défis auxquels font face les PSF en Afrique lors de leur transformation digitale ?

Juan Luis Podesta : Les institutions "novices" et "débutantes" rapportent que leur premier défi est le manque de capitaux disponibles pour investir dans leur transformation digitale.

Le deuxième défi est l'acceptation des solutions digitales par les clients. Les institutions interrogées ont fait part de leurs préoccupations vis-à-vis du faible niveau de compétences numériques, d’alphabétisation et d’éducation des clients, et de la lenteur des changements de comportement. En général, lorsque les PSF ne s'attaquent pas dès le départ à la question de l'adoption par les clients, ils ont toutes les chances d’être confrontés à des problèmes d’utilisation. Lorsque cela se produit, les institutions tendent à renoncer à la mise en œuvre de nouvelles solutions et les clients, qui ont eu une mauvaise expérience, développent une résistance à ces technologies.

Les ressources humaines constituent le troisième défi le plus important, qu'il s'agisse de trouver des talents dans le domaine numérique ou de renforcer les capacités internes. Les institutions doivent investir suffisamment dans les compétences, dans la formation du personnel existant et dans l’instauration de nouveaux modes de travail avec un profil d'équipe multifonctionnelle.

Les PSF font aussi face à l’impact négatif de la digitalisation accrue de la concurrence. En raison de l'augmentation du débauchage de clients par les concurrents, les PSF peuvent avoir des difficultés à proposer des tarifs compétitifs et la qualité de leur portefeuille peut se détériorer.

Lorsque les PSF ne s'attaquent pas dès le départ à la question de l'adoption par les clients, ils ont toutes les chances d’être confrontés à des problèmes d’utilisation.

Portail FinDev : Quel est l'impact de la transformation digitale sur les institutions ?

Juan Luis Podesta : Les conclusions de cette enquête et les observations sur le terrain du personnel de Triple Jump montrent que les institutions tirent un bénéfice de la transformation digitale. Les PSF obtiennent de meilleurs résultats en matière de satisfaction des consommateurs, les clients ayant signalé une amélioration de leur expérience. Les PSF gagnent en efficacité opérationnelle en réduisant leur ratio de charges, et en proximité avec les clients, notamment dans les zones rurales et éloignées. L’amélioration de la satisfaction du personnel fait également partie des bénéfices signalés.

Portail FinDev : Le COVID-19 a fortement touché les secteurs vulnérables, notamment les clients de la microfinance. Quel impact a-t-il eu sur le travail du DTA dans la région ?

Juan Luis Podesta : Nous avons fait progresser nos services de digitalisation, à la fois pour nos clients et en interne. Nous avons dû fournir des services à distance en raison des restrictions de déplacement. Nous mettons désormais en œuvre une approche hybride, avec des programmes en ligne complétés par une assistance et des formations en personne.

La crise a eu des effets contradictoires sur la digitalisation. D'un côté, certains PSF ont dû suspendre leurs projets numériques compte tenu des nouvelles priorités dues aux effets du COVID-19 sur la continuité des activités et la liquidité ; et d’un autre côté, de nombreuses institutions ont accéléré leur digitalisation pour surmonter les défis induits par la pandémie, comme la limitation des contacts avec les clients.

Face à la crise, nous avons renforcé notre programme d’appui à la stratégie de transformation digitale et continué à soutenir la mise en œuvre de solutions digitales et les programmes de renforcement des capacités, afin d'aider les institutions à être plus agiles et résilientes face aux changements du marché et aux circonstances imprévues.

Portail FinDev : Selon vous, quels sont les principaux facteurs de réussite de la transformation digitale des PSF ?

  1. Développer les capacités du personnel en interne, ainsi que l’appropriation du projet. Il est important d’investir dans de nouvelles compétences, de comprendre la motivation de chaque membre de l’équipe et le les motiver.
  2. Rester centré sur le client et écouter le marché. Il ne faut pas essayer d’imposer son programme, mais plutôt s’adapter aux besoins du marché – identifier les problèmes et les difficultés des clients et réfléchir à la manière de les résoudre.
  3. S'assurer du soutien de la direction. Le conseil d'administration et les cadres supérieurs doivent se sentir investis dans la digitalisation afin d'allouer les ressources financières appropriées et de soutenir les changements organisationnels si nécessaire.
     

Portail FinDev : Quels sont les domaines prioritaires pour Triple Jump en Afrique ?

Juan Luis Podesta : Triple Jump Advisory Services va continuer à se concentrer sur les efforts de transformation digitale, la mesure des résultats sociaux et l'ouverture de nouveaux marchés pour soutenir la résilience climatique et l'investissement dans des approches genrées.

En Afrique de l'Ouest, nous avons constaté que le secteur se porte globalement bien et qu'il a été moins affecté par le COVID-19 que dans d'autres régions. La plupart des PSF digitalisent leurs activités en automatisant leurs processus internes et en lançant des réseaux d'agents. Mais d'un autre côté, les opérations des clients reposent encore largement sur l'argent liquide. Il y a de plus en plus de plateformes mobiles dans la région, mais elles ne sont pas encore aussi populaires qu'en Afrique de l'Est. Il y a de l'espace pour se développer, et il y a de l'espace pour soutenir une transformation digitale socialement responsable.

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